La plus grosse erreur qu'on peut faire en regardant ce film, c'est de le prendre d'emblée pour un énième clone des Dents de la Mer, plat, vide et cupide, surfant sur la nouvelle vague carnassière du massacre aquatique en se contentant de remplacer la grosse moissonneuse batteuse vorace par une armée de scies sauteuses déchaînées.
Rien de plus normal en fait que de se laisser aller à un tel jugement, tant le film reprend certaines des désormais célèbres idées de celui qui restera à jamais la référence du genre. Seulement, à l'inverse de beaucoup d'autres, et diantre dieu doit bien savoir que j'm'y connais, le scénar prétexte de ce film est aussi le terrain de jeu d'un réalisateur inspiré.
Dante aurait pu se contenter de livrer un énième rejeton bâtard du fait divers d'Amity Island, et certainement que les producteurs s'en seraient contentés à merveille, seulement ce serait sans compter sur la douce folie et le sarcasme jovial du futur père des petits monstres rigolards fans de Blanche Neige. Piranha est loin d'être une simple copie, c'est d'avantage une parodie amoureuse et imprégnée profitant d'une histoire de dents pointues et de victimes sanguinolentes pour s'éclater dans une multitude d'hommages qui traduisent aussi bien un rattachement affectueux à ses pairs qu'une délectation forcenée pour jouer de la caméra.
Joe Dante est un enfant de types comme Roger Corman, Jack Arnold ou Gordon Douglas, le fils prodigue et timbré des années 50 et de leur bouillonnement créatif en matière de trucs à écailles et autres machins velus, et c'est avec toutes ces succulentes et tortueuses racines qu'il bâti ses délires bordéliques et loufoques. En ça, Piranha a d'avantage sa place entre "L’Étrange Créature du Lac Noir" et "L'Attaque des Sangsues Géantes" qu'aux côtés de "Jaws" et des "Oiseaux". Les célèbres thématiques propres à cet illustre âge d'or des bestioles en pagaille sont reprises ici, entre manipulations génétiques, science toute puissante et dévastatrice et hautes instances peu soucieuses de l'avenir d'une poignée d'êtres vivants faciles à sacrifier ou d'hectares de terre insignifiants, prenant place dans une ambiance qui déjà annonçait les prémices d'un réalisateur d'une grande maîtrise tant débile que jouissive.
A la manière des plus grands fleurons du cinéma de genre, les prédateurs traquent la viande fraîche dans un glougloutement exagérément strident qui accompagne chacune de leurs scènes, comme les stridulations récurrentes des fourmis géantes de "Them!" ou le rugissement improbable de l'araignée titanesque de "Tarantula". La caméra se balade sur les côtes inquiétantes et sous les eaux troubles, imitant, parodiant et jouant d'une manière tout à fait plaisante, voguant des sous bois à un obscure laboratoire rempli de monstruosités délirantes, dont une sorte de poisson-lézard bipède sinuant dans l'obscurité sur une démarche hésitante, animant avec grâce une morphologie tout droit issue de "A des millions de kilomètres de la Terre". Et ce gros bouillon prend sa forme chaotique pour tranquillement se diriger par accoups vers son final attendu d'écarlate et de cris.
Nous sommes en 78 et Joe Dante s'annonce déjà comme un euphorique dérangé d'une inventivité alléchante. Bien entendu, il n'en est là qu'à ses balbutiements titubants, pagayant comme il le peut sous les demandes impérieuses de producteurs avides pour cracher sa touche personnelle et commencer à taillader son univers si hystériquement charmant dans ces 80's naissantes.