«Place publique» est un film qui ne paye pas de mine et qui est pourtant étonnamment réussi. Que ce soit les jeunes, les vieux, les dépressifs, les coincés, les maniérés, les artistes, leurs enfants ou les bourgeois, tout le monde en prend pour son grade dans ce vaudeville à mi-chemin entre la comédie burlesque voire même satirique. Le film dresse une satire de cette classe sociale aisée en la mettant en confrontation directe avec tous ses défauts, en allant aux colères désaxées des stars qui croient qu'en claquant des doigts tout leur est permis, au favoritisme jusqu'au boutiste des enfants de stars pistonnés grâce à leur nom de famille, entre autres. Il remet également en question l'être humain et sa propre faculté à être humain, en mettant en forme plusieurs péchés capitaux comme le mensonge, la colère ou encore la luxure, et voir autant de fond dans un film de Agnès Jaoui, dans une comédie française qui arrive comme un cheveu sur la soupe dans cette pré-période estivale remplie de futurs blockbusters, on ne pouvait pas clairement s'y attendre.
En effet, après la qualité très discutable proposée par son précédent film «Aurore» (salué par la critique certes mais pas par mon cœur) où elle y tenait le rôle principal, j'allais à reculons voir son nouveau film. À la base déjà peu inspiré par l'actrice, il y avait de quoi craindre ses talents de réalisatrice et mes craintes ne furent que renforcées au visionnage de la bande annonce qui, on ne peut le nier, ne vendait pas du rêve et annonçait un film de ringards, avec des vieux, et pour des vieux ringards... Je m'excuse auprès de ceux qui se sentent offensés par ces mots mais c'est ce que je pensais au préalable. Par dépit, je suis quand même allé voir «Place publique» et ô combien fus grande ma surprise ! Le film se révèle bien plus profond qu'il en a l'air, fournissant par ailleurs des moments très drôles et repoussant au passage les clichés, devenus presque inévitables, de la comédie française actuelle.
Tout d'abord, parlons du fond. Bien que très qualitatif sur la forme, le fond m'intéresse beaucoup plus ici car la critique dressée est bien plus forte. Effectivement, comme dit ci-dessus dans l'introduction, le film met en scène des bourgeois dans leur petit monde, entourés de leurs semblables mais dans un lieu totalement incongru à leurs habitudes, ce qui va les pousse, en quelques sortes, à montrer différentes facettes des personnages, jusqu'à leur facette la plus cruelle. Le rôle de Jean-Pierre Bacri, Castro, un animateur sur le déclin, en est la parfaite incarnation. Cynique et désagréable, il représente le plus mauvais de la plupart de ces artistes qui se croient tout permis, à licencier leurs agents d'un claquement de doigts et à bousculer leurs destins. La critique peut se voir également à travers le personnage de la fille de Castro, romancière et favorisée par les médias grâce au nom de son père, renvoyant au fameux piston dont bon nombre de romanciers auraient besoin pour se faire connaître. Il y a là une critique assez vigoureuse contre toutes ces pratiques et le réalisme des différentes situations critiquées renvoient parfaitement à la vie réelle.
Quant à la forme, c'est également très intéressant la manière dont le film est écrit. En enchaînant les quiproquos, les compromis et les mensonges, une construction crescendo de tensions et de non-dits est permise. Cette accumulation donne au film un côté assez jouissif car on se doute qu'au bout d'un moment, la colère d'un des personnages va prendre le dessus et toute cette accumulation finira par exploser et ce, bien évidemment, pour notre plus grand plaisir de spectateurs. Ce qui est bien, c'est qu'à aucun moment le film est vulgaire gratuitement ou utilise un humour gras, l'humour est toujours fin et mesuré et entraîne des situations humoristiques assez raffinées, malgré le peu d'originalité, qui est ce que l'on peut lui reprocher en grande majorité. On peut donc noter un travail remarquable sur l'écriture du scénario mais également sur celui des dialogues qui, grâce à l'implicite, permettent de provoquer le rire plus d'une fois.
À saluer également l'efficacité du casting qui apporte une valeur ajoutée non négligeable au film, que ce soit Jean-Pierre Bacri qui était l'acteur parfait pour incarner ce rôle de cynique et ingrat animateur, Léa Drucker qui représente le rôle-miroir de Bacri, la légèreté et la joie de vivre en plus, sans oublier Agnès Jaoui, rayonnante, ou encore Kévin Anaïs également très bon dans son rôle.
En somme, j'ai trouvé le film très bon sur de nombreux points et il m'a très surpris. La satire n'est ni grossière ni veine, loin de là, elle est au contraire pertinente, et rien que pour cela le film méritait bien une critique pour vanter ses mérites (et les mérites du film en général). J'encourage tous les lecteurs à découvrir ce film, peut-être pas au cinéma, mais en tout cas à y jeter un coup d'œil lorsque le moment se présentera.
15/20