Tourné en 1955, "Planète interdite" est l’avant-dernier film très connu d'un réalisateur peu connu, Fred M. Wilcox, qui a surtout fait ses preuves dans le domaine des films de chien.
Production
Maintenant, parlons de ce film présenté soit comme un narnar kitch, soit comme une pépite de la science-fiction. Si on remet les choses dans le contexte, pour l'époque, le film avait de l'ambition à revendre. Il a même arboré fièrement la technologie du cinémascope, une grande affaire à l'époque. Cela permet de livrer un film fait de grandes images colorées qui en jetaient aussi bien sur les très jolis extérieurs que dans les entrailles de la planete. Un vrai spectacle visuel ! Et ça, ça coûtait cher. Le producteur Nicholas Nayfack a dû mettre la main au portefeuille.
On est donc pas sur une série B mais bien sur une grosse production avec des effets spéciaux remarquables, le tout chapeauté par Arnold Gillespie et avec une petite aide des studios Disney.
Esthétique
Bon, ça peut être sujet à débat, mais la photographie de George J. Folsey et les décors d'Irving Block et Mentor C. Huebner étaient plutôt pas mal.
De mon côté je trouve les extérieurs magnifiques avec une vraie patte Western dans les compositions de cadre et les dégradés de couleur. Je suis moins convaincu par les intérieurs de la résidence de Morbius en surface mais tout est affaire de gout. Ca reste soigné en tout cas.
En termes de mise en scène on a du beau travail.
Les cadres en cinémascope sont bien composés.
Dès le premier plan dans le vaisseau on a un mouvement d'appareil en 3 temps qui va préciser pour le spectateur la composition du vaisseau par la droite du cadre puis par la mezzanine en haut. Les placements de personnages sont toujours bien pensés, les images équilibrées.
Dans les sous-sols de la planète les matpaintings sont magnifiques et les intégrations avec les personnages très sympa. Dans le même ordre d'idées l'intégration du lion autour de la piscine avec la jeune fille fonctionne bien.
On a aussi du beau mouvement de caméra. Je pense par exemple à un travelling pris en hauteur qui se révèle être le point de vue subjectif d'une créature du mal qui passe sous les yeux des personnages qui regardent ailleurs puis vient s'immiscer dans le vaisseau. C'est super bien et on est littéralement 20 ans avant le Halloween de Carpenter.
La cerise sur le gâteau, c'est la bande-son entièrement électronique, une grande première à l'époque. On peut dire que l'avant-garde a pris un coup de vieux, mais il faut saluer l'effort.
Scénario
L'histoire se déroule sur une mystérieuse planète où un scientifique, le Dr. Morbius, vit avec sa fille babydoll de compète, Altaira. Les problèmes commencent quand un vaisseau spatial terrien peuplé de garçons les couilles pleines débarque en guise d'équipe de sauvetage. Il y a aussi un robot ultra-sophistiqué nommé Robby, qui est un peu comme le majordome cool de Morbius et qui fait de vos rêves des réalités.
Tout ça nous mène à la découverte de l'histoire des anciens habitants de la planète, les Krells. Peuple troglodytes habitant une cité cyclopéene, ils étaient super avancés sur le plan technologique mais qui ont disparu mystérieusement en mode les Montagnes Hallucinées On découvre leur technologie et ça nous donne l'idée qu'il ne faut pas jouer avec le feu, au sens propre comme au figuré. Ben oui parce que la technologie, si elle arrive vraiment à réaliser tous nos rêves, alors elle réalisera aussi nos cauchemars et pensées impures de pauvres pêcheurs.
Les scénaristes semblent viser la lune avec ce film. Grosses ambitions qui vont chercher dans le grand classique de Shakespeare, "La Tempête" et dans un twist final freudien qui se veut autant moralisateur, voire évangéliste, que mindfuck.
On peut saluer l'effort mais c'est quand même hyper laborieux.
En terme de rythme, La mise en place et la fin sont efficaces mais hormis ces 30 minutes cumulées c'est putain de long. Ca manque d'enjeu, on a des personnages neurasthéniques qui n'avancent pas malgré une situation en théorie tendue. Y a un côté western mou écrasé sous le soleil avec des gars obsédés par leurs bites.
D'ailleurs, tout l'aspect mascu du film a hyper mal vieillie et franchement miskina l'actrice. Quand on la voit au fil des plans on navigue entre honte et pitié pour elle.
Néanmoins, dans cette lenteur moite, chaque scène semble avoir une signification cachée , un non dit chelou, et un pan du décor masqué. Le suspense est là mais finalement assez diffus et imprévisible.
J'ai par exemple été pendant tout le film inquiété par le Robot qui au final est un bon gars et nous dit quelque chose d'au moins aussi fin que HAL 9000 sur le rapport entre l'Homme et la technologie.
Héritage
Le film laisse un message de prudence sur l'orgueil humain et les dangers de jouer avec des technologies avancées en oubliant la nature pulsionnelle de nos conditions. C'était une époque marquée par la guerre froide et la peur d'une troisième guerre mondiale, alors ce film avait sa place. Il nous rappelle que, peu importe nos intentions, il y a toujours une part sombre en nous, un consentement au Mal, et il faut la traquer.
Ce message prend la forme d'un Space Opéra, dans un contexte où (après sa phase muette) la SF cherchait encore sa place dans le monde du cinéma.
Maintenant, "Planète interdite" n'a peut-être pas fait un carton au box-office à l'époque, mais il a marqué l'histoire cinématographique de la science-fiction. Il a ouvert la voie à des chefs-d'œuvre comme "2001, l'odyssée de l'espace" de Stanley Kubrick ou "Solaris" d'Andreï Tarkovski et en tout cas le spectateur d'aujourd'hui ne peut pas ne pas voir son côté chainon manquant entre ces 2 chefs d'oeuvres US et URSS qui plus de 10 ans après se répondent directement comme 2 enfants en compétition.
Le film a montré que la science-fiction pouvait être sérieuse, intellectuelle, et visuellement impressionnante. Alors, même si les effets spéciaux ont pris un coup de vieux, qu'on s'y ennuie il reste un incontournable pour tous les amateurs du genre et en tout cas un jalon historique. J'aurais juste préféré qu'il soit réalisé par Jack Arnold j'imagine.
Ça, c'est sûr, "Planète interdite" n'est pas interdit aux fans de science-fiction.