Play, de Ruben Östlund est sorti sur les écrans en 2011.


Résumé


Commençons par le commencement : le pitch. « Dans un centre commercial de Göteborg en Suède, une bande d’enfants d’origine somalienne interpelle trois jeunes garçons suédois, prétextant reconnaître dans la main de l’un d’eux le portable de leur frère. Sans menace ni violence, mais par une habile rhétorique, ils parviennent à les convaincre de les suivre dans un long périple à travers la ville, pour finir par les dévaliser. Alors qu’ils voient le piège de ce jeu de rôle se refermer lentement sur eux, les trois garçons semblent presque consentir à leur propre manipulation… » (Arte.tv)


Ruben Östlund s’inspire ici d’un fait divers réel : le procès d’enfants qui avaient usé de ce stratagème à plus de soixante-dix reprises pour racketter des jeunes de Göteborg.


Le film a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2011. Il a été récompensé par le Nordic Council Film Prize, comme le fut Antichrist de Lars Von Trier avant lui ou La Chasse de Thomas Vinterberg l’année suivante.


Le réalisateur


Ruben Östlund, avait déjà réalisé deux longs-métrages, Happy Sweden, en 2008 et The Guitar Mongoloid en 2005. Mais il est surtout connu pour ses deux films suivants : Snow Therapy (2014), et plus encore le brillant The Square (2017). Snow Therapy met en scène, sur un ton à la fois comique et dramatique, les conséquences pour une famille d’un acte de faiblesse du père. Alors qu’une avalanche menace d’emporter les clients d’un restaurant, la mère tente de protéger ses enfants. Le père, lui, s’enfuit sans s’en préoccuper. L’avalanche n’ayant causé aucun dégât, il faudra pour le père subir les conséquences de sa lâcheté momentanée, difficile à assumer. The Square sera quant à lui Palme d’or au Festival de Cannes 2017 et nominé aux Oscars 2018 dans la catégorie Meilleur film en langue étrangère. Difficile de résumer ce film très riche, que nous ne pouvons que vous enjoindre à regarder, ne serait-ce que pour la brillante et éprouvante « scène du gorille », avec un Terry Notary époustouflant.


Analyse du film


Précisons qu’il convient sans doute de lire ces quelques éléments de réflexion APRES LE VISIONNAGE, au risque à défaut de vous faire divulgâcher une partie du film.


Pour quiconque a pu voir ses autres films, Ruben Östlund peut apparaitre comme le réalisateur du malaise. Ce malaise se joue à deux niveaux, qui sont en fait les thèmes du film. Le malaise vient d’abord de l’empathie pour ces jeunes garçons qui se font manipuler. On aimerait les protéger, les prévenir, tandis que le piège se referme. Pas besoin de violence physique, quasi absente, la violence psychologique suffit à créer cette atmosphère lourde, suffocante. Nous ne sommes, malheureusement, que des spectateurs. Le malaise vient ensuite d’une autre violence, la violence sociale, celle qui pèse sur les jeunes délinquants.


Cette rhétorique complexe du fort et du faible irrigue intelligemment tout le film. Les faibles, ce sont d’abord les jeunes aisés, qui ne se pensent pas capables d’affronter ces jeunes banlieusards, qui les surpassent en nombre et en âge. Cette menace de violence, associée à des techniques de manipulations, qui mène au vol final, les place évidemment en victimes. Mais, s’ils sont les faibles contextuels, ils sont les forts sociaux. D’un côté, ce sont eux qui ont de l’argent, des objets de valeur, de beaux vêtements, des emplettes à la main. Impossible pour eux de s’empêcher de rappeler à leurs bourreaux que leur jean, c’est du Diesel, ou que la clarinette vaut 5.000 couronnes, inversant alors momentanément et implicitement le rapport de force. De l’autre côté, ce sont les jeunes somaliens qui ont intégré la hiérarchie sociale. Comment ne pas sentir le malaise, quand un auteur explique à sa victime qu’il n’a qu’à s’en prendre à lui-même s’il se fait voler, qu’il aurait dû savoir qu’on ne montre pas son portable à cinq Noirs sans en subir les conséquences, marquant alors une forme d’auto-discrimination. On ne sait pas si dans la réalité cette phrase a effectivement été prononcée, mais on sent bien qu’elle le pourrait. Et la violence, la vraie, est réservée aux jeunes immigrés. Par les délinquants d’abord, ce qui était effectivement le cas lors du fait divers. Ils traitaient plus violemment les immigrés. Par d’autres ensuite. Les voleurs se font voler par de plus vieux et plus forts qu’eux. Plus violents aussi. Elle vient encore du père d’une victime, qui répare son tort en s’imposant par la force contre un jeune alors sans défense. Elle est enfin présente implicitement dans l’ensemble du film. On quitte le beau centre-ville pour l’univers des délinquants, au milieu de barres d’immeubles gris, de vieilles rames de tram, voire près de chantiers. Les jeunes, avec leur larcin, s’en vont acheter une « pizza kebab » dans un fastfood, que les jeunes bourgeois peuvent sans doute acheter quand ils le souhaitent. D’ailleurs, ce qu’ils se sont faits volés sera racheté. Quand les jeunes immigrés semblent remplir des journées bien vides, les jeunes suédois, eux, nous sont montrés dans d’enrichissantes activités extrascolaires. Elle vient en outre des préjugés que l’on imagine dans l’esprit des victimes. La violence interne supposée des jeunes immigrés suffit à les faire taire. Comme le précise Ruben Östlund à propos du fait divers : « dès le départ, toutes les victimes savaient qu'elles allaient être dépouillées, et elles ont quand même suivi les voleurs dans une petite rue déserte au lieu de rester en public. Seules deux victimes ont appelé à l'aide et chaque fois, cela a suffi à arrêter les voleurs. »


Comme le précise le réalisateur, cette situation ne poserait pas de problème moral, ou du moins pas autant, si les immigrés étaient traités comme les autres dans son pays. « En quelques sortes, l'idée de cinq petits noirs dévalisant trois petits blancs m'a posé un problème : ma propre réaction. Pourquoi cela m'a-t-il tant gêné ? C'est cette question qui a constitué le point de départ de mon projet. »


Ce récit est entrecoupé d’un micro-récit parallèle, qui apporte une respiration. Il raconte l’histoire d’un berceau oublié entre deux wagons d’un train, ce qui contrevient aux règles de sécurité. Le comique vient de l’impossibilité pour le contrôleur de retrouver son propriétaire. On rit avec les passagers quand, pour une troisième fois, le contrôleur s’adresse aux voyageurs, en anglais cette fois, alors que tout le trajet a finalement été presque effectué. Il n’est pas bien dégourdi. Mais c’est un piège aux dépens du spectateur : on comprend que oui, effectivement, son propriétaire ne comprenait pas le suédois. Et que nous, nous n’y avions pas pensé. Le réalisateur nous place face à notre indifférence quotidienne.


Cette indifférence est sans doute aussi exposée par les longs plans-séquence dont est constitué le film. Nous sommes avec eux dans le bus, ou à les regarder de loin depuis une caméra de surveillance. Mais, comme les adultes du films, étonnamment absents, nous ne pouvons pas agir. Sans doute n’aurions-nous pas agi dans la vraie vie.


In fine, le réalisateur ne tranche pas ce conflit entre les faibles et les forts, et nous laisse à notre réflexion. On aurait pu imaginer qu’il nous fasse connaître le résultat du procès dans lequel il s’est plongé pour écrire son film. Le jugement aurait pu mettre fin au conflit social, à notre conflit intérieur. Mais non, il ne veut pas trancher, laissant alors place au débat.

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le 10 mai 2020

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