Avec Play, le réalisateur suédois Ruben Östlund signe un film d'une rare puissance. Se basant sur un fait divers, il conte par le détail comment une bande d'adolescents arnaquent des camarades à peine plus jeunes qu'eux. Ils concrétisent leurs méfaits en se basant sur un jeu de rôle surtout verbal, en évitant soigneusement d'avoir recours à la violence physique. Les proies se transforment dès lors en victimes tétanisées par la peur.
Malgré l'absence de brutalité concrète, on assiste à un rapport de force équivalant à celui d'un condamné face à son bourreau. Il est bien question de jeu comme l'indique le titre du film, mais pas dans le sens positif. Le plaisir que provoque cette joute ne profite qu'aux meneurs et non à l'ensemble des participants.
Le cinéaste, qui a fait ses armes dans le film de ski, évite soigneusement tout manichéisme et frappe très fort. En trois tableaux, il réalise une peinture implacable de la société occidentale, évoquant un conflit, la vengeance qui en découle et une proposition pour éviter l'un et l'autre. Il est fortement question de racisme dans Play, car les voyous sont tous issus de l'immigration, mais en allant très loin dans l'analyse en profondeur de ses personnages, le réalisateur parvient à faire oublier la couleur de peau des uns et des autres.
Il dissèque, dans un naturalisme remarquable, le fonctionnement minutieux et complexe de ce jeu dangereux et pour y parvenir, il privilégie les plans longs avec un minimum de mouvements de caméra. A juste titre, il ne cherche pas non plus l'empathie, en faisant le choix de dégraisser au maximum son film de gros plans. La caméra et, par ricochet, le spectateur ne s'impliquent pas, ils restent à distance, observent de loin ce qu'il se passe sous leur yeux. Ruben Östlund renforce encore plus ce recul en nous faisant entendre à plusieurs reprises des sons lointains.
Play est une oeuvre d'art difficile car elle interpelle sur le dysfonctionnement de la nature humaine, mais elle touche tellement juste qu'elle marque durablement.