Si le cinéma est aussi surnommé "7ème art", c’est parce qu’à travers cet incessant vivier créatif et divertissant, se trouve parfois une perle rare. Ce qu’on aime à appeler une œuvre d’art, ou tout simplement un projet si ambitieux et singulier, qu’il en devient instantanément un classique. Rares sont les réalisateurs à pouvoir créer de telles choses, mais en France, si l’on devait en retenir un seul au dessus du lot, ce serait Jacques Tati. Génie créatif, touchant et bien de chez nous, il est le représentant parfait du cinéma français. Un cinéma fédérateur, inventif et intelligent, dont Playtime est probablement la pierre angulaire.
Difficile d’y croire, mais Playtime à entraîné le début de la fin pour Tati. Les facteurs sont nombreux, en particulier du au fait que le projet était titanesque, celui-ci ayant organisé la construction d’une ville entière pour les besoins du tournage, immeubles et magasins inclus. Ruiné, et affecté par l’échec commercial retentissant du projet du à son format en 70 mm peu répandu et aussi parce que le public n’a pas répondu présent, Tati à probablement très mal vécu cette période. Aujourd’hui encore, Playtime fait parti des films les plus coûteux de l’histoire du cinéma français (entre 30 et 100 millions d’euros d’aujourd’hui), mais aussi des projets les plus intelligents jamais conçus, contrairement à un certain Astérix sorti il y a quelques années. Tati avait l’habitude d’allier dans son cinéma un côté minimaliste et attachant, tout en réussissant à y inclure une fable critique sur la société de son époque. Ici, sa créativité s’en trouve décuplée mais pourtant, il ne semble aucunement être étouffé par son décor monumental. Mieux encore, Playtime est encore aujourd’hui extrêmement actuel et pertinent, prouvant le talent visionnaire de son auteur, qui à l’époque était probablement trop en avance sur son temps. Comme à son habitude, Tati ne raconte pas d’histoire mais préfère laisser aller son personnage de Monsieur Hulot divaguer au grès de ses pérégrinations. Le but étant ici de dépeindre une société, un rythme de vie. Une vision du monde qui depuis Jour de Fête à radicalement changée, à tel point que son héros semble encore plus perdu qu’il ne l’était déjà. Trop ancien ou trop optimiste dans un monde qui se tourne de plus en plus vers la rationalisation et le modernisme, Hulot est un véritable marginal, encore trop attaché à l’ancien temps.
Le monde à curieusement changé, pour laisser place à des immeubles tous similaires, aux formes géométriques et disproportionnées. Tout se ressemble, à l’image de ses parkings où une mer de voitures produites en masse se fond dans le labyrinthe du quadrillage routier. Impossible de savoir où l’on se trouve, si ce n’est lors des apparitions impromptues des monuments parisiens. Tati à tout compris et semble avoir une vision bien claire du monde qui l’entoure pour s’être permis de le créer et jouer avec ses proportions. Les idées visuelles sont partout, du simple lampadaire aux immeubles à grandes baies vitrées qui seront synonymes de bien des métaphores. Car là réside toute la force du réalisateur : l’image. C’est bien là que réside toute l’essence de ce média, sa capacité à faire parler l’image, à lui donner pleinement vie et lui permettre de pleinement s’exprimer. Utilisant habilement le son et les mouvements de caméras ingénieux, Tati agit comme l’architecte d’un monde millimétré. Tout est synonyme d’humour, du geste le plus simple tourné en dérision, aux habitudes quotidiennes devenant sujettes à la critique.
Représentant d’une époque encore aujourd’hui trop présente autour de nous, Playtime nous présente un univers réglé et fonctionnel, mais qui derrière ses manies et sa volonté à toujours atteindre la perfection, n’est que bêtise et aberrations. Comme cette gigantesque séquence du restaurant ou derrière tout le clinquant en apparence, rien ne tient la route. Playtime est à vrai dire le récit d’un espoir, par un réalisateur qui semble croire que l’humain peut reprendre progressivement le dessus sur la pression que le monde moderne exerce sur lui. Au final, Tati n’a même pas besoin de s’intégrer au récit tant au final, c’est toute cette petite fourmilière qui agit pour lui, démontrant son propos et son espérance. Au départ impersonnel, l’on verra progressivement tout cet univers se désintégrer pour enfin obtenir une allure humaine, où la folie du monde moderne se mêle à la créativité des hommes, comme une gigantesque fête foraine. Voilà pourquoi encore près de 50 ans après, Playtime reste profondément actuel et pertinent, étant donné qu’il ne fait que refléter et déconstruire ce qui nous entoure. Il ne fait aucun doute que le film de Jacques Tati, bien qu’il ait été un échec, restera au panthéon du cinéma français, et probablement mondial tant il s’avère universel et accessible à tous. Une œuvre de génie, drôle et touchante, pour laquelle on ne remerciera jamais assez son initiateur.