7 ans après Champion, Mark Robson remet le couvert de l'univers de la boxe et opère un changement de paradigme notable en se focalisant non plus sur le ring et le boxeur incarné par Kirk Douglas en 1949 mais sur l'envers du décor avec Humphrey Bogart en promoteur opportuniste d'un boxeur amateur. On le comprend très vite, on va naviguer dans des eaux plus que troubles, carrément dégueulasses, avec un ballet incessant de magouilles et de compromissions formant l'ossature d'un film noir très élégant.
Le parti pris est intéressant et efficace, car on pénètre dans cet univers aux côtés d'un personnage manifestement amoral, Bogart, présenté comme arriviste, un journaliste sportif appâté par le gain et par les beaux discours de Rod Steiger — parfait en manager véreux, généreux en apparence quand tout va bien et rapidement menaçant quand le vent tourne : "The people, Eddie, the people! Don't tell me about the people, Eddie. The people sit in front of their little TVs with their bellies full of beer and fall asleep". Pas de manichéisme ici, il est présenté dans toutes les teintes de sa personnalité et si l'on met de côté les magouilles évidentes et bien conscientes des matches truqués, on pourrait croire qu'il s'agit d'un ange gardien très maternel avec son jeune poulain de 2 mètres et 120 kilos en provenance d'Argentine. Le point névralgique : il ne sait pas boxer et en définitive The Harder They Fall est avant tout l'histoire d'un mensonge autour de cette montagne, champion de boxe qui n'a en réalité jamais fait ses preuves mais dont on est parvenu à rendre les capacités inquestionnables. Du beau business.
Le duo Steiger baragouineur et Bogart usé pour sa dernière apparition avant de mourir l'année suivante fonctionne très bien, et le film s'inscrit agréablement dans la veine des dénonciations de la décennie, ici sur les mécanismes de la corruption et les ravage des compromissions dans le milieu de la boxe (inspiré d'un véritable boxeur, italien, Primo Carnera). Tout le film peut se regarder sur un ton léger jusqu'à un point de non-retour assez effrayant, le combat de trop, l'affrontement final qui vire à la boucherie et qui transforme le visage du faux champion en champ de bataille ravagé par les coups de poing de son adverse. Il passe sous un rouleau compresseur et ce n'est pas beau à voir — à tel point que cela suscite un sursaut de conscience chez Bogart, on le comprend, alimentant ainsi un discours social sur le massacre des boxeurs qui finissent, au choix, à la morgue, exploités par leurs manageurs, ou clochards dans la rue.
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