Mistral Gagnant
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le 6 sept. 2015
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Long-métrage d'animation de Mike Gabriel et Eric Goldberg (1995)
Pocahontas sorti la même année que le Roi Lion a reçu un accueil beaucoup plus mitigé par la critique ainsi qu’au box-office que ce dernier. Cela est en partie dû au ton adopté résolument différent des autres métrages disneyens et à un esthétisme marqué qui jure avec le style visuel des grands classique à succès de Disney adoptant, eux, une palette graphique aux tons plus chauds. En replongeant dans ce Disney, le plaisir est toujours aussi présent au moment de retrouver un univers riche d’une galerie de personnages hauts en couleurs avec les fantasques Meeko et la mystérieuse Grand-mère Feuillage, de parcourir les contrées sauvages de l’est du continent américain tout en savourant la beauté de l’insolite relation entre deux personnes à l’amour impossible.
Pocahontas propose un ton adulte de par l’époque historique abordée et les thèmes présentés : Le métrage est le théâtre d’un choc des civilisations entre le puissant empire britannique et les Amérindiens, entre la soif d’expansion et d’accaparation des ressources aquifères d’un côté et l’osmose des tribus endémiques avec la nature de l’autre. Disney est alors obligé d’imprimer un cadre historique savamment édulcoré à son histoire afin de toucher un large public, en cela les scènes d’appropriation de l’espace et des ressources par les colons sont réalisés sans effusion de sang. La dénonciation sous-jacente de l’impérialisme et du colonialisme n’y est pas soustrait avec la représentation grotesque d’un Ratcliffe bedonnant et véhément, allégorie d’un empire colonial britannique à l’aune de son apogée.
Pocahontas n’est éminemment pas dans la lignée des princesses Disney traditionnelles. Vieillie de presque dix ans par rapport à l’originale qui n’avait que douze ans quand les colons et John Smith ont débarqué en Amérique, elle incarne par ses désirs et son attitude, une vision différente de la princesse Disney. De par l’omniprésence de Pocahontas autour duquel le film éponyme est construit et le soin apporté au développement du personnage, le film repose indéniablement sur ses épaules. Plus proche de l’adulte que de l’adolescente, elle dégage dans sa démarche une gestuelle souple et emplie de sensualité qui la fait se démarquer des autres princesses Disney par un caractère subversif teintée à la fois d’espièglerie et d’une certaine sagesse. L’impression est telle qu’avec sa soif de découverte du monde, elle apparait comme trop à l’étroit dans sa tribu des Powhatans à l’organisation résolument trop hiérarchique pour une femme éperdument rêveuse. Emblème de la lutte contre la xénophobie et le racisme patent et latent, elle se bat pour la tolérance sans aucun parti pris. Le film joue intelligemment sur son tiraillement entre son désir de protéger les siens et son amour pour John Smith. Le métrage acquiert de fait une certaine maturité dans le propos mais surtout grâce à une histoire faisant écho directement à l’Histoire et relevant ici d’un caractère assez sombre. Pocahontas délivre alors une vision très moderne de la femme. Femme revêtant une attitude forte et indépendante, elle est un canevas de la figure émancipatrice de la femme. Sa tenue en est un exemple révélateur : la tunique est courte et près du corps dénotant une opposition flagrante avec les autres princesses Disney affublées de rubans et de robes amples. Libre dans sa réflexion, elle est au cœur du débat social et politique du récit refusant de se marier avec Kocoum s’affranchissant de fait des normes sociales de sa tribu créant alors un bouleversement normatif.
On peut constater une tension dramatique assez nouvelle dans l’univers Disney à travers trois passages caractéristiques : tout d’abord la théâtralisation de la mise à mort du héros qui est transcrite avec une esthétisation et un caractère épique assez marquant. Les couleurs chaudes, entourant les deux camps arrivant chacun de leurs côtés vers le promontoire rocheux, montrant de façon adéquate une tension croissante et palpable. Le cadrage de la scène, au début, apparait assez lointain dans le but de faire prendre conscience au spectateur de la gravité de la situation en cours. Ensuite le passage de la mort de Kocoum, prétendant à la main de Pocahontas, par le jeune Thomas, matelot, protégé et ami de John Smith, exécutant d’un geste de mort impardonnable et compréhensible. Cette scène est la première dans l’histoire du géant de l’animation nord-américain ayant une telle dramatisation : elle apparait comme la première où un personnage présenté comme « gentil » tue consciemment un autre personnage qui n’est pas un méchant. Va alors s’enclencher pour le spectateur une réflexion à partir de ce point de non-retour sur l’escalade de la violence amenant invariablement à l’affrontement final. Pour finir, c’est aussi la première fois qu’un Disney ne se finit pas sur un happy end avec la séparation de Smith et Pocahontas après la résolution finale. Smith repartant en galion vers l’Angleterre regardant une dernière fois Pocahontas, perchée sur la falaise, regard partant du bas vers le haut par un plan en contre plongée mettant en exergue la distance qui commence à se creuser entre eux.
Pocahontas démontre un vrai savoir- faire en terme de qualité visuelle. La qualité de l’image y est très travaillée. L’esthétisation y est très prononcée allant jusqu’à mettre en valeur les forêts présentes par une démesure et un gigantisme formulée par des hauteurs de cimes impressionnantes. Le style du film est aussi appuyé par un vrai travail sur la couleur avec une surabondance du vert, bleu, rose et rouge qui magnifie une nature exaltée. Les procédés cinématographiques abondent lorsque la machine à émotions se met en place : les cadrages serrés, gros plans et autres focus sur les personnages se font légion quand il s’agit de capturer l’essence émotionnelle d’un plan magnifiant la mise en perspective de la beauté de l’amour (John Smith et Pocahontas à la nuit tombée dans la forêt). Le film fait ressortir une vraie sensibilité à la nature et un vrai sens de la poésie : arc boutée autour de son étendard : l’air du vent, le lyrisme est omniprésent dans le film. Et comment ne pas parler de la nature sans parler de la mystérieuse grand-mère Feuillage : affublée d’un anthropomorphisme bienveillant marqué par une espièglerie et une sagesse bienvenue. Elle est la confidente de Pocahontas ainsi qu’une grand-mère par procuration. Les diverses chansons qui parsèment le récit sont toujours porteuses de sens et font parfois écho à l’Histoire à l’image de Des sauvages, entonné par les marins après la mort de Kocoum, et qui démontre la vision et la perception qu’ils ont des Amérindiens.
Le film arrive à allier diverses émotions mélangeant le rire avec les facéties de Meeko et Flynt, personnages contrebalançant le côté sombre du film par des pitreries avec Percy le chien de Ratcliffe, à l’émerveillement devant la beauté des paysages représentés à l’écran par des couleurs chaudes et chatoyantes à une certaine appréhension devant la mise en scène de l’exécution de John Smith.
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le 3 déc. 2015
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