Quel dommage que le principal rôle féminin de "Polar" n'ait pas été confié à une vraie bonne comédienne, nous aurions tenu là un véritable standard du genre. Oh, je ne réclamais pas une pointure de l'époque genre Adjani, qui n'aurait pas cadré avec le budget ni l'esprit du film, mais simplement une petite actrice montante, avec du charme et du talent.
Car désolé pour la dénommée Sandra Montaigu, dont la carrière au cinéma fit long feu, mais la jeune femme en manque cruellement, compensant laborieusement par son aura de mystère.
Hormis cette carence lourdement pénalisante, le film de Jacques Bral est une vraie bonne surprise dans le registre du polar eighties dépressif, se jouant des codes attendus pour les contourner habilement.
Ainsi, le héros campé par Jean-François Balmer est certes un privé loser et désabusé, mais absolument pas le séducteur débraillé, cynique et porté sur la bouteille que l'on aurait pu attendre en pareil contexte. Non, cet Eugène Tarpon a surtout un côté très enfantin, qui rêve de chocolat chaud apporté au lit par sa môman, et vit dans un petit deux pièces exigu mais propret (formidable séquence d'ouverture, où l'on découvre son intérieur escamotable - référence à "Un américain à Paris", sans doute).
De même, s'il se retrouve fourré dans une affaire trop grosse pour lui, c'est à son corps défendant (on comprendra mieux le personnage lorsque son passé honteux sera dévoilé).
Adaptation du roman noir "Morgue pleine", signé Jean-Patrick Manchette, "Polar" évolue sur un rythme assez lent, et son intrigue pourra sembler parfois confuse, mais pour ma part je me suis laissé embarquer dans cette histoire complexe, où le meurtre originel s'accompagne d'une succession de menaces, enlèvements et coups de feu, et dont le dénouement n'apporte pas forcément toutes les réponses.
En dépit d'une mise en scène inégale d'une séquence à l'autre, Jacques Bral parvient à instaurer une atmosphère singulière dans un Paris hivernal et lugubre.
Il faut dire que le réalisateur peut s'appuyer sur un casting très réussi, composé uniquement de seconds couteaux aux gueules pittoresques et inquiétantes : Roland Dubillard en journaliste alcoolo, Pierre Santini en flicard sans illusions, Jean-Paul Bonnaire en amoureux étrange, mais aussi Marc Dudicourt et Jean-Louis Foulquier, sans oublier le petit rôle de Claude Chabrol en pornographe.
S'amusant jusqu'au bout avec les codes du film noir, "Polar" s'achèvera sur une sorte de happy end. Un paradoxe supplémentaire pour ce film atypique qui comblera surtout les amateurs de polars français - et démontre au passage (une fois de plus) les talents de Jean-François Balmer.
On réalise alors que dans une précédente adaptation de Manchette ("Pour la peau d'un flic"), ce même personnage d'Eugène Tarpon était interprété par… Alain Delon! Une autre vision du rôle, indubitablement...