Polisse partout, morale nulle part !
C'est très embêtant comme film... Disons-le tout de suite, c'est assez réussi. Si vous êtes normalement constitué, vous pleurerez un peu et vous rirez pas mal. Les acteurs sont impeccables, les dialogues sont bons, le rythme est là. Bref, on s'ennuie pas.
Une petite réserve quand-même sur l'alternance un peu évidente, et qui devient prévisible, des scènes de rires et des scènes de larmes. Rien de catastrophique (mais rien d'exemplaire non plus).
Le problème n'est pas dans la réalisation. Il est dans l'aspect cinématographique, esthétique et moral. C'est simple, ça frise l'abject en permanence. Maïwenn reconnait même que la DDASS lui a fait réviser des dizaines de scènes du scénario pour protéger les enfants-acteurs. Le résultat c'est qu'on nous épargne les descriptions exhaustives des viols pédophiles incestueux par les enfants eux-mêmes, sans parler des scènes qui n'ont pu être tournées (sic). Et heureusement ! Parce que Maïwenn semble totalement ignorer les 60 dernières années du cinéma français. « Le travelling est une affaire de morale » ne lui dit-elle vraiment rien ?
Maïwenn (grosso-modo, lors d'une AP à Strasbourg) « Je crois que j'ai compris pourquoi les flics sont racistes et homophobes [one point]. Ils sont homophobes parce que c'est un job viril [one point] et que l'homosexualité remet en cause leur virilité [one point]. Et s'ils sont racistes c'est parce que c'est les statistiques [one point] : les noirs c'est les viols incestueux, les arabes ils battent et les Français c'est la pédophilie [three points]. Qu'est-ce que vous voulez que je réponde à ça ? [ten points] » Et devinez quoi ? Ben dans son film les noirs violent, les arabes battent et les "Français" sont pédophiles. Et puis tant qu'on y est, les roms volent aussi (rien sur les Juifs ou les homo, y'avait plus la place). Voilà. Admettons une petite seconde que c'est effectivement une vérité statistique (on se demande bien quelles statistiques puisqu'elles sont censées être illégales sur ce thème, bref), il reste tout à fait abject d'associer une nature à une culture. Ça à même un nom, on appelle ça le racisme... Et quand ce genre de raccourci racistes trouvent place dans une représentation, en plus d'être abject, ça devient dangereux et irresponsable.
« Qu'est-ce que vous voulez que je réponde à ça ? » Ben je sais pas Maïwenn, tu pourrais peut-être commencer par porter un regard critique sur ton sujet et éviter les caricatures ? Tu pourrais te dire que ton rôle de cinéaste est sensiblement différent que de mettre en images des statistiques. Sinon fait carrément des diagrammes, des histogrammes et des camemberts, tu gagneras du temps. Tu pourrais te demander si c'est véritablement une réalité statistique et, le cas échéant, chercher à comprendre pourquoi ? Tu pourrais en faire une comédie délurée en prenant justement ce genre d'info au pied de la lettre. Je sais pas Maïwenn, mais tu peux pas montrer les arabes violents, les noirs violeurs, les roms voleurs, les blancs pédophiles et de n'avoir rien d'autre à ajouter que "qu'est-ce que vous voulez que je réponde à ça ?"...
Ça suffit à condamner le film, mais y'a pas que ça. Ou plutôt si, y'a que ça. En fait le film n'a pas vraiment de propos. On se demande un peu pourquoi elle l'a fait à part peut-être pour montrer l'héroïque travail quotidien d'une brigade de Protection des Mineurs. Aucune critique donc sur ce corps de Police. Sur les individus oui, les clichés habituels : les hommes virés de la maison par leurs femmes, le sexisme, le chef vieux-con, le suspect influent donc ménagé, etc. C'est vrai que c'est pas franchement tendance de faire des films à la gloire de la Police, donc pourquoi pas. Mais alors peut-être qu'il serait bon de rappeler qu'ils n'agissent que sur une infime part des "affaires". Rappeler peut-être qu'avant d'appeler la BPM, il y a des assistantes sociales qui tentent de diagnostiquer les dysfonctionnements, que d'autres sont accusés à tord, bref, de tempérer un peu leur rôle, non ?
On pourrait aussi revenir sur quelques plans, comme celui d'une défenestration au ralentit, mis en résonance avec un enfant lors d'un concours de gymnastique. C'est pas dangereux, c'est juste complètement bête et à l'esthétique douteuse. Ou bien celui d'un fœtus mort de 6 ou 7 mois, probablement destiné à faire buzzer un peu (bien que je n'y vois rien d'inacceptable). Encore un autre, confondant de naïveté : des enfants roms, embarqués à six heures du mat' dans leur campement, qui se mettent à danser dans le bus de la police. Pour ma part je suis pas certain que t'es d'humeur à improviser une gigue dans le bus des condés quand t'as 6 ans et que tu viens de te faire arracher des bras de ta mère...
Et puis en même temps y'a des scènes réussies : "Pipe contre téléphone", "L'engueulade", "La prise d'otage" voire "Une branlette et au lit". Mais vous laissez pas avoir, ce film reste une catastrophe. Et ce d'autant plus qu'il est bien foutu et qu'il aura probablement du succès. C'est un peu triste parce que c'est pas une mauvaise fille Maïwenn. Mais c'est pas pour autant qu'il faut la laisser faire n'importe quoi ! N'allez pas voir ce film, gardez votre argent pour lui envoyer des vieux numéro des Cahiers. Celui de juin 1961 par exemple. Elle pourra y lire cet article de Rivette : http://simpleappareil.free.fr/lobservatoire/index.php?2009/02/24/62-de-l-abjection-jacques-rivette