"Polisse, milisse, tout est factisse !"
... éructait un Bernie Bonvoisin en pleine bourre dans un morceau du premier album de Trust.
(Bon, bien, bien sûr, avec des "c" à la place des "ss").
Ces paroles résonnent prophétiquement juste lorsque je songe au troisième film de Maïwenn.
Mon ami le buzz
Je ne sais pas ce que j'ai, mais depuis un bon moment, je suis en froid avec les films à fort taux de pénétration émotionnel et monétaire qui embrasent le paysage de la cinématographie hexagonale.
En les voyant, je n'arrive pas à goûter pleinement la dose d'émerveillement à laquelle je suis convié, au même titre que mes semblables.
En effet, plutôt que de prendre à pleine goulée mon grand bol d'émotion légitime et général, j'ergote.
Je pinaille.
Je pratique la sodomie diptèrique.
"Les intouchables" ? Boaf. "la guerre est déclarée" ? Mouais... «"Drive" ? MMmm... (il fallait absolument que j'en trouve un anglophone avant de me faire traiter d'ambassadeur de l'anti-France par un de mes éclaireurs proches...)
Et du coup, forcément, je cogite. Pourquoi ne parviens-je pas à participer à ces élans collectifs, à ces transports lacrymaux unanimes ?
Il y a sans doute plusieurs explications.
D'abord, il ne faut pas le cacher, je suis un gros connard snobinard.
C'est vrai, et ce n'est pas rien.
Du coup, me détacher des masses populaires forcément ignares et moutonnières me flatte l'égo, c'est entendu.
Mais il y a peut-être autre chose. Plongés que je suis depuis plusieurs mois dans la découverte (ou redécouverte) de grands classiques –la faute à ce maudit site sur lequel je m'épanche présentement- , je souffre du syndrome comparatif.
Si le décalage avec le plus grand nombre s'explique (ce qui séduit les foules ne peut le faire que sur des bases consensuelles impropres à mon esthétisme raffiné ou mon exigence morale et esthétique –je vous avais prévenu-), celui avec les critiques "professionnelles" demeure.
Comment ces derniers peuvent-ils à se point plonger comme un seul homme ? Connivence avec les puissances financières ? Copinages avec le milieu des artistes dont ils sont souvent proches ? (et je sais de quoi je parle : à chaque fois que j'ai critiqué l'œuvre de quelqu'un que je connaissais, sur ce site –oui, ça m'est arrivé déjà trois fois et une quatrième se profile (car je suis snob ET obséquieux)- je lui ai trouvé toutes les qualités du monde. Et sincèrement, en plus).
Je n'ai pas de réponse et le mystère perdure.
"Drive", "la guerre est déclarée" géniaux ? Euuhh... vous avez revu un Kazan ou un (Arthur) Penn récemment?
Se rapprocher du vrai.
Quand on vise haut, on prête le flan à la critique pointue (dans le sens pinailleuse) et donc forcément injuste. Ce que je vais à présent reprocher à ce Polisse n'aurait pas pu concerner "Fast & Furious 5", soyons clairs.
Parce que dans l'ensemble, il n'y a pas, je le confesse, de défaut ÉNORME à montrer du doigt. Les deux heures passent de manière relativement fluide, quelques scènes accrochent (le fou-rire sur les portables sent le vécu à plein nez), une ou deux performances d'acteurs émergent (Joey ouais ouais ouais...).
Même Jérémie Elkaïm, qui parvient à jouer faux même lorsqu'il ne fait que marcher, ne gâche pas trop l'ensemble, c'est dire.
Mais du coup, ce qui est presque-parfaitement-réaliste-mais-pas-tout-à-fait n'atteint pas son but. Et nous fait –presque- regretter le documentaire.
Les moments choisis de vie privée, entre deux scènes professionnelles édifiantes, laissent un arrière goût curieux. A l'image des échanges Foïs-Viard peu heureux (cette dernière, d'ailleurs, frôle au cours d'une ou deux scènes, la performance catastrophique). A l'image encore de cette romance gratuite et sans intérêt entre la réalisatrice et le rappeur (Maïwenn a-t-elle voulu réaliser le fantasme de présenter JoeyStar à ses parents ?)
Les émotions sont sans cesse appuyées (moments de crise ou de liesse, d'amour naissant ou de rupture cuisante) et le choix de la forme, la fiction plutôt que le documentaire, atteint alors ses limites.
Encore faudrait-il, d'ailleurs, qu'il s'agisse d'un bon documentaire. Il y a un ou deux passages qui nous font subitement craindre d'être passé sur TF1 ou M6 (si propices à suivre les émois policiers, filmés de l'intérieur) sur grand écran.
Le transport.
On sait, en entrant dans Polisse, que le sujet est âpre et rêche.
On craint même les scènes difficiles, déstabilisantes.
L'aspect catalogue des cas présentés vient vite amoindrir l'impact. Tout est passé en revue avec application : il y a l'inceste du père, de la mère, du prof, il y a le problème avec l'arabe, le noir, l'asiatique et le roumain et enfin et surtout le père qui a des relations et qui se sait intouchable.
L'aspect un brin lénifiant de cette déclinaison a tendance à créer une distance entre l'objet (le film) et le sujet (moi). Car je ne suis paradoxalement jamais surpris.
Le propre de tous les grands films qui m'ont bouleversés (et ils sont nombreux) est qu'ils sont parvenus à me "transporter" au sens littéral du terme, c'est-à-dire qu'ils m'ont emmené en un endroit que je ne connaissais pas, que je ne soupçonnais pas. Ils m'ont placé dans un état émotionnel inédit, que la "vraie vie" ne m'avait jamais proposé, et c'est en ce sens très précis que je leur reconnais cette grandeur.
C'est aussi pour ça que je pense que l'art en général est non seulement essentiel à l'homme mais qu'il est aussi bien plus importants que tant de choses pragmatiques, sérieuses et encrés dans une réalité avec lesquelles l'époque nous bassine et qui nous est présentée comme horizon indépassable.
Merde, je fais des grandes phrases et je m'égare. Je ne parlais que de Polisse, morbleu!
Toujours est-il que je n'ai senti aucune trace de ce transport dans le film dont la multitude des (parfois petits) défauts empêchent le décollage vers cet ailleurs.
La scène de la séparation entre la mère et l'enfant avait un fort potentiel émotionnel (même si assez facile cinématographiquement parlant) mais dilue son effet par sa façon appuyée d'étirer le moment le plus longtemps possible.
C'est aussi cette scène finale qui, de part sa maladresse étonnante (le parallèle pataud chute / réception –et depuis quand passe-t-on un concours de gymnastique à la rentrée, d'ailleurs ? - Vous voyez, je pinaille, je vous dis !) m'a laissé froid comme une plaque de marbre.
Il n'y a d'ailleurs pas que le final qui tombe à plat (pouf pouf).
L'introduction, par l'emploi du générique de l'île aux enfants, oscille entre l'incongru et le grotesque.
Ne soyez pas tristes pour moi. Si la béatitude collective m'est désormais interdite, je la compense bien largement avec mes petits plaisirs classiques et historiques.
Mais je continuerai indéfiniment à essayer.
Bernie, j'ai commencé avec toi, alors je vais finir de même: ces œuvres un peu préfabriquées ont tendance à me faire sortir les griffes et me rendre légèrement antisocial.