Il n'est pas rare que l'on préfère le premier film que l'on a découvert chez un auteur, faussant pour le pire comme le meilleur notre regard sur lui pour les décennies à venir.
Choix étrange que de nous sortir un Porco Rosso déjà un poil poussiéreux (le film sort chez nous en grande pompes en 1995), alors que Princesse Mononoké est en cours de "finition" (chez Ghibli ça veut dire entre 6 mois et 4 ans... on peut limite comprendre pourquoi l'industrie cinématographique décide de, timidement, sortir le dernier en date, adulte mais pas trop, violent mais pas trop, pour petits et grands, qui se passe, qui plus est, en Italie, donc pas trop loin de chez nous, plutôt qu'un Totoro par exemple, conte qui connaîtra le succès que l'on sait, mais saturé de référence à la culture nippone).
Totoro pourrait être plus fédérateur, donc, mais ça risquerait d'enfermer Miyazaki dans la case "dessanimé pour chti nenfants", et il faut éviter ça parce que, y compris dans ce dernier, il y a largement plus à voir, à creuser, à comprendre. Il va donc falloir mettre le paquet :
une distribution dans la VF à faire tourner la tête, des jeux de mots tout en finesse, des sous-entendus graveleux qui passent crème, le Temps des Cerises chanté en franponais dans toutes les langues, une période marquante pour tous (la seconde Guerre Mondiale), ce qui pourrait suffire à convaincre les distributeurs certes échaudé par le paradoxe Akira (un film proche de la perfection mais qui a souffert d'un malentendu tenace : le déssanimé cé pour les nenfants, comme chez Disney, bordel! (avaient-ils regardé le Livre de la Jungle, Alice au Pays des Merveilles ? Les séries de chez Dorothée ? Je ne sais pas, mais Akira est resté 2 jours, de mémoire, dans ma ville, et a été retiré des écrans aussi sec, alors qu'un regard ne serait-ce que sur les dossiers de presse ou sur le manga aurait suffit à faire comprendre un message simple : "laisse pas trainer ton fils, si tu veux pas qu'il pisse (de trouille devant Akira) !" Autre temps, autre moeurs, Urotsukidöji qui sortait tranquillement dans la collection Manga en VHS, histoire d'enfoncer le doigt de Ken le Survivant dans les orifices des méchants...).
Mais pour les amoureux du Maître, les vrais (et pas les pédants qui se contentaient de rire en coin, méprisant, "ah, tu as aimé ? hu hu hu... c'est vrai que tu ne parles pas le chinois du Japon, tu n'as sûrement pas vu les autres... quoi ? mon préféré ? Tot...(merde, il connait peut-être Totoro, et si je dis Nausicaä, il va enchaîner sur le manga et découvrir mon Secret...), euh, Kiki la petite sorcière, tu connais ? Non ? et ben c'est celui-là! QUOI ?! Tu ne connais pas ?!! pff..."), n'oublions pas de préciser ce qui pourrait échapper aux yeux des "connoisseurs suffisants" :
Porco Rosso EST un conte dont on respecte tous les tropes : on parle quand même d'un homme devenu cochon-garou suite à un événement héroïco-tragique, de pirates des mers, d'amour secret, de trésors, de magie/sorcellerie, tout en ne négligeant jamais la noirceur implicite du contexte géopolitique, sans que celle-ci n'étouffe le film. Ca va, non, comme performance.
De plus, l'amour porté par Miyazaki à l'aviation se sent dans le moindre boulon vissé, la moindre pièce fabriquée à l'os, la moindre explosion, les percées de nuages, les jeux sur les fluides, sans oublier la seule scène qui pourrait avoir vieilli si l'on ne lui reconnaissait pas sa magistrale mise en scène et son effet de profondeur : un refus de faire mumuse avec les nordinateurs, et assurer une course poursuite dessinée à la main.
Bref, je pourrais continuer à encenser ce qui est paradoxalement loin d'être mon préféré de chez Ghibli, mais entre les personnages hauts en couleurs, l'animation qui frôle la perfection, l'humour omniprésent, et la bande son d'un Joe Hisaishi au meilleur de sa forme, à un tournant important de sa carrière, un doublage qui ne peut que nous rappeler à quel point c'est un boulot pointu et fin, et qu'il ne suffit pas de beugler quand ça beugle en VO, mais d'adapter, en finesse, de comprendre et d'incarner un personnages.
Je pourrais, mais concluons par une citation de Miyazaki, un sourire narquois "Et si le cochon, c'était moi ?", probablement lassé par les questions qu'on lui posait (et bon, il avait une équipe à torturer pour terminer Mononoka-hime dans les temps).
Redonnez sa chance au cochon, au pire, ça vous permettra de trancher : c'est de l'art ou...