Il y a un paradoxe vis à vis de Porco Rosso pour un spectateur francophone: alors qu'il a été le premier film du réalisateur japonais à avoir reçu les honneurs d'une sortie nationale au cinéma dans nos contrées, allant de pair avec un doublage français de qualité (Jean Reno y donne peut-être une de ses meilleures prestations d'ailleurs), il est sans doute un des films de Miyazaki reprenant le moins d'éléments emblématiques de son auteur a priori.
Point ici de terre mourante suite aux excès des hommes comme dans Nausicaä, de quête des trésors d'une civilisation disparue et de grande aventure comme dans Laputa, ou d'un discours écologique confinant à l'animisme comme dans Totoro.
Et pourtant, tous ces éléments s'y trouvent, mais de manière plus pudique et intériorisée.
Le monde dans lequel évolue Marco est bel et bien un monde mourant, et Porco Rosso comme la bande de pirates ou Curtis sont les représentants d'une ère, celle où les hydravions dominaient le ciel et les mers, qui appartient déjà en quelque sorte au passé et y laisse une partie de son insouciance.
Ce monde passé est mis en péril par la montée du fascisme. Le film en fait un élément qui reste en arrière plan, mais projette une ombre inquiétante sur tout le récit, que ce soit à travers ces défilés militaires ou le fait que Marco est recherché par la police. Porco Rosso (notez que les porcs rouges étaient un surnom donné par les fascistes aux communistes de l'époque) ne désire pas se mêler à eux ( ce qui le fera même dire textuellement qu'il préfère être un porc qu'un fasciste), malgré les conseils que lui donne son ami aviateur; il cherche à rester farouchement indépendant et libre.
Le film, même s'il s'avère véhiculer certains de ses thèmes de prédilection moins frontalement que ses œuvres précédentes, rencontre de nombreuses autres obsessions de son auteur qui sautent aux yeux, telle la passion constante qu'il entretient avec les machines volantes, passion héritée de de son père, ainsi que cette volonté d'éviter le manichéisme en montrant que les pirates comme Curtis ne sont, au fond, pas si mauvais que cela (le véritable méchant de l'histoire restant plutôt flou, en arrière plan, et de l'ordre idéologique).
Il y a quelque chose de profondément mélancolique, nostalgique et tragique qui survole de bout en bout le film de Miyazaki. Sa transformation en porc se veut symbolique, lui qui s'est exclu du monde des hommes au point de ne plus se reconnaître en eux et de parler des humains comme s'ils étaient d'une autre espèce que lui. Marco est tout aussi incapable de se détacher de son passé et des drames qu'il y a vécu que de se projeter pleinement dans l'avenir au coté de celles qui l'aiment.
A travers un baiser volé par une jeune fille amoureuse, Marco récupérera peut-être bien un peu de son humanité et de sa foi en l'homme, bien qu'on ne puisse en avoir la certitude, Miyazaki préférant ne pas être trop explicite, et laisser planer le doute, mais il n'arrivera pas malgré cela à mettre un pied dans l'avenir et ne restera qu'un souvenir dans la mémoire de ceux qui ont connu cette ère de liberté en disparaissant à la fin du récit sans rejoindre Fio et Gina.
Porco Rosso est donc un film qui comme son héros ne se livre pas facilement, est moins explicite que ne l'est le reste de l'œuvre du co-fondateur des studios Ghibli. Un film difficile à définir , rempli d'action mais contemplatif, perdu entre la terre, la mer et les nuages, entre le vent et la machine, entre deux guerres, entre les souvenirs du passé et les craintes du futur, mais un film profondément humain après tout.