Le premier film du photographe de mode Jerry Schatzberg, est une œuvre exigeante et très formaliste qui répond parfaitement au programme annoncé par son titre original : « Puzzle of a Downfall Child ».
L’héritage de la photographie et le sujet traité, à savoir le parcours d’un mannequin permettent une mise en scène kaléidoscopique assez vertigineuse et pour le moins déconcertante. La notion de cliché, d’instantané est ainsi profondément travaillée, en écho direct au film étalon dans le genre, Blow up d’Antonioni. Mais Schatzberg ne limite pas son propos à l’exploration d’un milieu. En s’acharnant à circonscrire le portrait d’une femme malade, qui peu à peu perd pied, il orchestre un double parcours.
Temporel, dans un premier temps : le film se construit sur le principe de la confession et du flashback, et c’est sur ce domaine qu’il est probablement le plus virtuose : la superposition des séquences à une bande son d’une autre époque est d’une très grande maitrise, certes exigeante, mais très cohérente dans la nostalgie et le déni qu’elle génère.
Fantasmatique dans un second : la protagoniste, personnage mystérieux dans un premier temps et semblant prendre de haut ses collaborateurs et soupirant, dévoile progressivement ses failles, jusqu’à revisiter le réel au gré de ses phantasmes. Prisonnier de son discours, le spectateur est amené à un recul critique de plus en plus grand par rapport aux séquences proposées, et paradoxalement s’attache d’autant plus au sujet qui se décape et de dénude avec une radicalité croissante.
Faye Dunaway est absolument sublime, et l’on a rarement vu une comédienne changer à ce point d’apparence au sein d’un même film, visage caméléon qui vieillit, offre une beauté glacée et inhumaine ou une fragilité bouleversante. Parlant sans cesse, d’une justesse absolue dans son instabilité, elle dévore ses interlocuteurs, et le spectateur avec qui ne peut que l’écouter, et faire avec. Egocentrée, obsessionnelle, intense, ravagée par le besoin de plaire, la femme modèle progresse sur le lent chemin de l’aliénation et de l’autodestruction dans un univers étrangement calme et intimiste, sans véritable coup d’éclat.
Le final, retour au présent supposément apaisé, censé célébrer une réconciliation avec le réel, est d’autant plus émouvant qu’il nous donne à voir les permanences du mal, les écueils de la maladie et l’éternelle soif d’amour d’un personnage qui nous marquera longtemps.
Sergent_Pepper
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le 27 nov. 2013

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le 27 nov. 2013

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