Un peu oublié aujourd'hui et souvent raillé pour avoir longtemps travaillé dans la mode avant sa carrière cinématographique, Jerry Schatzberg était un talent à l'état pur, et ce mépris on ne peut plus déplacé. Alors que cette histoire de star déchue pourrait être des plus classiques voire superficielle, le réalisateur transcende son récit en nous offrant une narration éclatée particulièrement innovante et ô combien surprenante, si bien que notre plongée dans cet univers étrange est totale du début à la fin. Le pari était pourtant risqué : ces allers-retours dans l'esprit perturbé d'une ancienne top-model aurait rapidement pu tourner à l'indigestion : ce n'est jamais le cas.
Au contraire, les souvenirs sont tellement bien choisis, « cohérents dans leur incohérence », que le puzzle est immédiatement fascinant à reconstituer, la relation entre Lou Andreas et Aaron, ponctuant le récit, s'avérant en parfait équilibre avec les (très) nombreux flashbacks. Schatzberg n'oublie pas pour autant de nous offrir une œuvre visuellement très belle, mais surtout un portrait de femme absolument inoubliable, tourmentée et infiniment subtil, auquel la magnifique Faye Dunaway (rarement aussi bien filmée) apporte une complexité, une émotion, une grâce rarissime, signant assurément l'une des plus belles prestations des années 70. Bref, longtemps mal-aimé, « Portrait d'une enfant déchue » est un film à (re)découvrir d'urgence, et assurément un des très grands moments de cinéma que j'ai pu connaître cette année.