Un dimanche pluvieux ? Rien de tel qu'un film en costumes pour oublier la météo ! Après avoir vu le documentaire palpitant sur Jane Campion, drôle de nana un peu barrée et fermement déterminée à la fois, il ne restait qu'à lui donner une autre chance, parce que j'étais passée à côté de La leçon de piano, œuvre austère vue trop jeune, à sa sortie, au cinéma. Autant dire qu'elle m'avait barbée. Cette fois, forte de plusieurs décennies d'entrainement cinéphile, j'étais mieux équipée pour suivre les démêlés de cette 'lady' à qui son inconscience juvénile laisse espérer un avenir radieux de jeune femme émancipée. Elle oublie qu'elle appartient à une époque et une société encore terriblement corsetées par les convenances, qui interdisent à tout spécimen féminin le moindre espoir de liberté. On peut critiquer les pays qui subissent encore aujourd'hui l'étau des religions misogynes, on en était encore là il n'y a pas si longtemps, et la religion n'était pas la seule responsable... Bref, la jeune Isabel Archer s'illusionne et, surtout, elle se trompe sur elle-même, en pensant qu'elle aura la force de s'en tenir à l'anticonformisme dont elle rêve. Finalement, c'est elle-même sa propre ennemie, lorsqu'elle se laisse fasciner par un animal à sang froid téléguidé par une femme tutélaire qu'elle admire. On pense à Valmont et à la Merteuil, à bien des égards. Sauf que la nouvelle Sophie Volange aspirait à davantage de fantaisie que la jeune fille des Liaisons dangereuses. En cela, sa chute est encore plus douloureuse. D'autant qu'elle s'enfonce dans son échec avec toute la fougue de son orgueil blessé. Reste à lire le roman pour mesurer les licences de Jane Campion par rapport à l'histoire originale. Pour sa part, le film bénéficie d'une facture soignée, enrichie de quelques fougueuses originalités, pas forcément toutes nécessaires, mais bien chargées de sens. La caméra s'offre des loopings inattendus, qui interpellent et forcent à se replacer dans sa position de spectateur. Certainement à dessein. En outre, c'est bien la première fois que je dois reconnaître à Nicole Kidman des qualités d'interprétation. Jusque là, elle me semblait toujours le maillon faible des films et séries dans lesquels je l'ai vue. Il semblerait donc que, bien dirigée, elle soit capable de briller, je n'en reviens pas après les fiascos lamentables d'Eyes Wide Shut ou Calme plat. Cette histoire est tout sauf anodine, et une féministe comme Jane Campion s'offre là un réquisitoire sur mesure contre l'étau machiste et conservateur qui a privé si longtemps les femmes de la moindre possibilité d'émancipation, car il n'était pas qu'extérieur : elles avaient si bien intériorisé sa logique mortifère que, parfois, elles étaient à l'origine de leur propre perte. Un jeu bien pervers, en somme, dont on perçoit encore aujourd'hui les ressorts déloyaux dans bien des accommodements acceptés par les femmes en vertu de principes dont elles pensent qu'ils contribuent à les protéger. Prises dans ces nasses, elles peuvent se débattre, certes, mais chaque mouvement ne fait que précipiter leur asphyxie.