Il y'a maintenant 7 ans de cela, une ancienne camarade de classe insista lourdement pour que j'aille voir Tomboy.
Le poncif "film d'auteur français = fortes probabilités de m'emmerder et ratatiner mes bijoux de famille façon raisins secs" était si fortement enraciné dans mon logiciel de pensée de l'époque, que je n'ai daigné accepter l'invitation.
Aujourd'hui, année 2019, que je regrette amèrement ce geste, et de n'avoir pu connaitre Céline Sciamma plus tôt.
On a la sur le papier, dans "Le Portrait de la Jeune Fille en Feu", tous les ingrédients du film post Nouvelle Vague financé par le CNC qui d'ordinaire me ferait fuir plus vite qu'un député Républicain devant un contrôle fiscal: un drame en huis clos, tournant autour d'un amour impossible, ponctué de phrases évasives pensant faire de la poésie pas chère.
Et pourtant dès la première scène, la sauce prend.
C'est ce toucher rectal que vous redoutiez tant qui soudainement transforme vos larmes de douleur, en larmes de joie.
Ca commence par de la focale, de la longue focale. Celle qui se fait bien trop souvent absente dans notre cinéma national.
Et cette focale, elle ne vient pas nue; elle enrobe et déssine une œuvre à la lumière renversante.
L'ami avec qui je suis allé voir le film me disait que 80% des plans du film étaient des tableaux.
Je ré enchéri très volontiers à 90.
On est dans un travail d'esthétique inespéré dans ce type de production.
Et quand bien même Céline vient forcer un peu l'action pour avoir une composition de cadre iconique et picturale; le résultat est si abouti et gracieux qu'on lui pardonne bien volontiers.
Ca tombe bien, puisque au dela de sa plastique, c'est bien d'image dont le film parle.
Précisément de l'appropriation par l'image.
L'appropriation que l'on se fait d'autrui (quand on capture l'image de quelqu'un, possède t'on ce dernier... ou inversement ?), ou de soi.
La scène extraordinaire ou les protagonistes finissent par récréer une scène sur le vif, de l'avortement est splendide et riche en propos.
Se réapproprier c'est aussi laisser les autres voir nos faiblesses et nos tragédies.
Il y'aurait plein de choses à développer la dessus.
Ce que je ne ferais pas puisque je n'ai pas nécessairement gaité à tricoter un commentaire long comme Guerre et Paix, et que ca finirait par ressembler à de l'auto secouage de poireau intellectuel.
Cependant, croyez moi sur parole, Le Portrait de la Jeune Fille en Feu ne laissera pas insensible et parlera à tout type de spectateur.
Il y'a un coeur émotionnel que l'on ne soupconnerait pas au premier abord dans Le Portrait de la Jeune Fille en Feu.
Loin de l'objet froid fait pour triturer les méninges d'un critique de Positif, il y'a une fibre authentique, qui nous prend de façon viscérale.
Evidemment cela est principalement véhiculé par Noémie Merlant et Adele Haenel qui ont d'ores et déjà remportées les Césars de 2020, les Oscars et le Prix Nobel de la Paix.
Mais c'est surtout Sciamma qu'il faut applaudir, puisque rien dans son orchestre ne semble en désaccord.
Tout se mélange harmonieusement, même quand elle fait appel à putain de Para One pour sa BO.
Tout converge vers une fin absolument fantastique.
Céline Sciamma sait faire du cinéma, c'est indéniable.
Je me sens vraiment con d'avoir attendu aussi longtemps pour le savoir.