Le regard, contre tous (et tout). Là serait le fil conducteur de la filmographie de Céline Sciamma, le cinéma de la réalisatrice française s’apparentant à une véritable déconstruction de notre perception du monde, prenant une direction intensément picturale. « Portrait de la jeune fille en feu » se pose, dès sa première partie, comme un véritable archétype. Désormais, au delà du simple regard, c’est la notion du souvenir que Sciamma immortalise, derrière un scénario foisonnant en richesse et en symboles. Film en costume sous forme de parabole à l’émancipation féminine, « Portrait de la jeune fille en feu » distingue sa modernité au travers d’un portrait vif de la nature cinématographique. Comment cadrer le souvenir de l’être aimé ? Véritable investigation de la mémoire en tant qu’image, le film, au travers d’un académisme peignant la naissance des sentiments interdits, se décline au fur-à-mesure qu’il avance. Vidé de présence masculine, il offre aussi bien l’exaltation de l’art qu’une subtile approche de la pulsion scopique, le besoin de regarder et d’être regardé, dérobant ses arguments à un amour exultant sous une couche de fusain. On pourrait reprocher à Sciamma le fait qu’elle semble envisager son long-métrage comme un sujet d’étude, notamment à cause de sa mise en scène, extrêmement picturale et éloignée des personnages. Justement, plus le film avance, et plus nous nous rapprochons, jusqu’à ce zoom final libérateur. Prétextant la peinture pour se camoufler dans une mise en abyme à peine dissimulée, « Portrait d’une jeune fille en feu » dépeint ainsi trois femmes entrelacées d’allégories : l’une illustre la place de la femme dans les beaux arts, une autre le mariage arrangé, tandis que la troisième soulève la question de l’avortement. Flirt entre l’intimisme et la fresque, « Portrait de la jeune fille en feu », sans jamais se montrer poussivement féministe (bien que particulièrement symbolique à certains moments), met tout simplement en scène un microcosme de femmes entre elles, à l’écart, autant qu’à l’abris du monde, déroulant une fine étude du regard pour mieux affiner l’incandescence d’une passion, comme cela paraît à la fin, ou l’image apprivoise le portrait d’un souvenir. Acmé de Céline Sciamma, « Portrait de la jeune fille en feu » dégage une splendeur spectrale, parfois maladroite, mais souvent d’une précision forçant le respect. Hypnotique.