L'amour, toujours l'amour dans les chansons, les livres, à la télé, au cinéma. Qu'on lui mette un grand A ou pas, qu'il soit masculin ou féminin, singulier, pluriel, homo, hétéro, familial ou amical, c'est le moteur d'une vie, l'inspiration partagée des artistes autant que le souffle intime des anonymes. C'est aussi ici la revendication féminine silencieuse d'une liberté encore prématurée, au temps où les femmes ne décident pas de leur avenir ni ne possèdent leur corps. Cette chose précieuse qu'est l'amour ne s'impose pas d'emblée dans Portait de la jeune fille en feu mais s'immisce petit à petit, de scène en scène, avec le savoir vivre et la retenue de ses deux protagonistes qui se sentent autant à l'étroit dans leur corsés que dans les conventions imposées aux femmes de leur époque. A la manière des coups de pinceaux précautionneux de Marianne sur la toile, l'amour s'esquisse puis se figure pleinement. Quand l'une, Héloïse, modèle inexpérimenté mais curieux, effronté mais épris de liberté, sait faire naître le désir, l'autre, pudique mais déterminée, sait le saisir à bras le corps. Énième déclinaison du récit d'un amour impossible, Portrait de la jeune fille en feu déploie avec une sobriété sensible très juste les codes de l'idylle passionnelle tant euphorique que douloureuse. A chacun, bien sûr, sa manière de percevoir cette peinture amoureuse selon son propre tempérament sentimental. Là où certains prêteront à la lenteur et la préciosité du film en costumes ennui et grandiloquence, d'autres, dont je fais partie, y associeront avec enthousiasme langueur et élégance. La sensualité omniprésente faite de parquet qui craque, de tissus qui se froissent, de mains qui se frôlent, de regards qui se mêlent suffit aux corps qui se mélangent sans beaucoup plus de démonstration. La réalisation impeccable, tout en coupes nettes, de Céline Sciamma pourrait paraître un brin austère sans les plans rapprochés avec lesquels elle pousse ses héroïnes l'une vers l'autre, et sans une photographie magistralement picturale à commencer par la scène d'ouverture et son paysage maritime venteux. Entre la tempérance de la route de Madison et la passion de la Vie d'Adèle, ce portrait fend le cœur de son spectateur empathique sur les notes de Vivaldi et ses quatre saisons: naissance printanière, été flamboyant, déclin automnal et hiver glacé...fin du cycle amoureux ? Quand est venu le temps de la séparation et du manque, à une époque où les moyens de communication et autres réseaux sociaux n’existent pas, il ne reste que les souvenirs et l'espoir de rencontres avec l'autre aussi hasardeuses que fugaces.