Un sentiment un peu mitigé et de frustration avec ce film, parce que s’il est très chouette, encore une fois, j’ai eu du mal à vraiment être transporté par sa marque de fabrique « drame à la française ». Par conséquent, j’ai aimé sans vraiment être conquis.
L’histoire est vraiment super, j’ai beaucoup aimé cette romance qui se démarque un peu de ce qu’on a l’habitude de voir. Tout d’abord, le premier point que j’ai noté, c’est son approche : s’il s’agit d’une romance entre deux femmes, celle-ci est traité avant tout comme une histoire d’amour entre deux personnes. En d’autres termes, c’est cet amour entre les deux personnages qui est au cœur de cette histoire, sans que leur genre ne soit vraiment amené sur la table : l’histoire aurait pu être entre deux hommes, ou un homme et une femme, ou que sais-je, que son traitement n’aurait pas changé.
Même si le discours social est sous-jacent, qu’on sent un peu cette influence de Roméo et Juliette dans l’interdit et le mariage conventionnel, même si la mère est absente durant la période, au final, à aucun moment, le sujet n’est abordé textuellement : elles vivent leur histoire d’amour comme n’importe qui, et le personnage de Sophie n’aborde jamais la question. C’est un choix d’approche que j’ai beaucoup apprécié, car plus encore que le choix même du couple, c’est un acte pertinent qui devrait être plus courant, montrer que ce genre de relation est tout aussi normale que n’importe quelle autre.
Au-delà de l’approche donc, l’histoire elle-même est plutôt intéressante. Je ne suis pas grand friand des romances, mais celle-ci fonctionne à plusieurs niveaux. Tout d’abord, chacune a un peu sa propre vision de son amour, un amour qui ici est présenté plus sous une forme symbolique que réellement passionnelle. Plus qu’une obsession ou de la séduction, il y a une alchimie entre Marianne et Héloïse qui relève du charme, de l’envoûtement. En un sens, ça m’a un peu fait penser à ce que Lynch avait fait dans Mulholland Drive entre Rita et Betty. Ça relève presque du mysticisme par moment. J’ai beaucoup aimé cette dynamique donc, avec une progression graduelle autour de trois repères essentiels : le clavecin, le feu de joie et puis la lecture du mythe d’Orphée.
Le clavecin est plutôt anodin en première apparence mais prendra son sens dans la conclusion du film, où on comprendra que c’est là que la colère d’Héloïse a peu à peu été remplacé par son amour pour Marianne. Le feu de joie, parce qu’il est sans doute l’axe central de l’intrigue autour duquel pivote le film, puisqu’on bascule dans l’étape intime de leur relation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il survient assez vite le mythe d’Orphée, qui lui aussi paraît saugrenu au départ, avant qu’on comprenne qu’il serve de pierre de rosette pour comprendre les sentiments des deux personnages, et surtout débuter le parallèle entre Marianne/Orphée et Héloïse/Eurydice, qui atteindra l’apothéose dans la conclusion qui sera un mélange des deux visions, preuve de leur union.
D’ailleurs, c’est une raison pour laquelle je ne suis pas trop fan du premier épilogue, car il est un peu poussif dans l’utilisation de son fusil de Tchekhov, déjà introduit peu de temps avant (ça aurait été plus pertinent s’il avait été présenté plus tôt dans le film). En cela, le second épilogue prend plus de sens, puisqu’il permet de comprendre l’importance du clavecin dans le développement du personnage d’Héloïse ; mais on peut aussi reprocher de s’attarder un peu trop là-dessus. C’est, pour ma part, le seul reproche que je fais à l’histoire : sa conclusion pas forcément au point, ce qui est un peu dommage.
Concernant les autres aspects du film, c’est là où justement, le côté « drame à la française » pèse un peu beaucoup. Il y a d’une part les dialogues, souvent très formels et très froids, ressemblant plus comme des dialogues de théâtre déclamé sans cœur. D’ailleurs, si Noémie Merlant et Adèle Haenel proposent un très bon jeu dans l’ensemble, celui-ci reste tout de même très marqué par une emprise théâtrale dans la déclamation des discours. C’est souvent très frigide. Certes, ça fonctionne à peu près compte tenu du contexte, mais parfois, ça manque clairement de vie et, surtout, de magie. Même si Portrait de la jeune fille en feu s’en sort quand même beaucoup mieux que plusieurs de ces homologues.
Idem sur l’aspect technique. La quasi-absence de musique n’est en soit pas dérangeante dans ce cas, parce qu’elle renforce en fait les passages clés du film ; mais voilà, c’est aussi une tendance dans ce genre de film français de ne pas avoir de musique qui accompagne l’histoire. À ce sujet, j’ai d’ailleurs noté quelques problèmes parfois avec le montage son (des bruits de fonds saturés ou assourdis par de brusques coupures dans un même plan/scène) ; mais vu le truc, j’imagine que ça doit venir du format compressé de la plateforme de streaming, ou bien de ma connexion, parce que des erreurs aussi grossières dans un film présenté à Cannes me paraissent quand même improbables.
La photographie reste dans la même veine, à savoir très classique et monotone, sauf quand on va dans les extérieurs, où on aura droit à des plans fabuleux et splendides (la première sortie et la rencontre avec Héloïse de dos et la plupart des balades sur les falaises, les trois silhouettes qui se découpent dans le couchant, la scène autour du feu, celle après l’avortement de Sophie quand elles sont toutes les trois devant la cheminée, le départ de Marianne qui recoupe donc avec le mythe d’Orphée et les apparitions précédentes). D’ailleurs, c’est dans ces quelques moments que le film adoptera réellement sa dimension de cinéma.
De même que la mise en scène, dans l’ensemble très correcte, on note un très bon travail sur certains plans (souvent les mêmes que précédemment) et dans certaines scènes (l’arrivée en barque puis dans la pièce avec la cheminée allumée, le premier baiser entre Marianne et Héloïse, le premier épilogue où Marianne traverse la marée d’hommes) et d’autre fois quelque chose sans souffle. Comme bien souvent avec des films dramatiques français, là où Call Me by Your name ou Moonlight dégageaient quelque chose de très puissant par l’image et la mise en scène. Rien à reprocher en revanche au décors et aux costumes.
Bref, un sentiment un peu mitigé donc, parce que si c’est clairement une excellente romance dans son écriture, sans doute l’une des meilleures de ces dernières années, le reste du film reste empreint quand même d’une méthode française que j’ai toujours autant de mal à apprécier (même si le film s’en sort mieux que de nombreux autres drames français). C’est dommage, parce que, encore une fois, j’ai adoré son histoire et je pense que c’est une approche vraiment intéressante et qui mérite d’être vue et imitée.