Je ne sais pourquoi j’ai repensé aux Césars, le 25 août dernier. Mais j’y est repensé. Et j’y ai revu Adèle Haenel se lever au Nom de la justice, de la tolérance et de l’égalité. Et j’ai enfin vu ce film. Diantre, je ne l’ai pas vu: je l’ai regardé. Un film parfait dont j’ai décidé d’en écrire la critique après 6 visionnages. “Critique” ? Mais que dis-je… Une véritable déclaration d’amour.
Ce film est une parenthèse temporelle. Ce film c’est trois femmes, un immense huis-clos, deux musiques transcendantes.
Un film où la jeune fille s'enflamme et brûle telle une sorcière au bûcher. Une sorcière qui brûle d'amour. Une jeune fille en feu que l'on regarde et qui nous regarde en échange, nous enflammant à son tour à travers les yeux charismatiques d'Adèle Haenel. Et le film prend vie. "Si vous me regardez, qui je regarde moi ?". Tout s'accélère. C'est la naissance de la flamme d'un amour incandescent. Un amour consenti. Un amour au femalegaze. C'est la "Naissance des pieuvres". Un amour possible bravant la notion du temps, la seule entrave à cette romance. Oui, l'étau temporel se resserrera tel le corset d'Héloïse à la fin de son idylle, nous rappelant son triste destin identique à celui de Rose dans Titanic. Mais c’est parce que le temps nous conditionne qu’il faut le saisir. C.Sciamma à su suspendre le temps en nous peignant un film de plans dignes de tableaux qu’il faudrait prendre le temps d’ apprécier. Et l’amour devient donc possible.
Un amour d’autant plus possible par la mémoire et le souvenir: faire “le choix du poète”. “Ne regrettez pas, souvenez-vous”. Je ne serai compter le nombre de métaphores du mythe d’Orphée dans ce film. Une modernisation du mythe que l’on perçoit à trois niveaux: l’époque d’Orphée, celle de Marianne et la nôtre. Se retourner c’est se souvenir, c’est voir une dernière fois la silhouette d'Héloïse tel un portrait gravé à jamais dans la mémoire. Des portraits, il y en a pleins. Parce qu’il en faut plusieurs pour représenter les états d’âme d’un Être. “C’est comme ça que vous me voyez ?”, dira Héloïse: on nous présenta un portrait aussi froid que l’apparence de son sujet pour nous présenter par la suite une multitude de portraits: ceux d'Héloïse, de Marianne, de Sophie. Celui de femmes vivantes. Celles qui rient, celles qui pleurent, celles qui brûlent, celles qui se jettent à l’eau, celles qui se souviennent.
Un film en feu, miroir d'une collaboration amoureuse entre Céline, Adèle et le Cinéma; et d’une collaboration artistique d’un triangle d'actrices époustouflant.
Et surtout, une actrice: Adèle Haenel. Adèle et son interprétation subjectivement politique. C'est l'Avis d'Adèle (ça y est, j'ai fait le jeu de mot). L'avis d'Adèle retranscrit dans un film loin de “La Vie d'Adèle”(ou plus tôt "la Mort d'Adèle", dirais-je). Combien de fois cette horreur a été salué par le Cinéma croyant prôner des valeurs de tolérance et d’ouverture d'esprit ? Ô malheur, ce film de A.Kechiche ne fait que stigmatiser la communauté en sexualisant une romance féminine pour le regard des hommes où la femme n'est que Objet. Dans Portrait, le modèle est pour la peintre un Sujet de désire artiste tandis que la peintre est pour le modèle un Sujet d’admiration. Dans Portrait, la Femme est Sujet. "C'est un sentiment doux à vivre légalité" . Les deux Sujets sont muses aussi bien que les deux muses sont modèles l’une pour l’autre.
Et l’Art devient véritablement Collaboration.
Ce film est un vrai spectacle vivant au cours duquel le spectateur regarde Héloïse à travers les yeux de Marianne qui va être regardée par Héloïse qui va nous regarder à son tour autant qu’elle regarde Marianne, le tout sous le regard artistique de la réalisatrice. Wow. Je n’ai jamais été autant impliqué dans un film que dans Portrait.
Un film à l’ambiance sonore vide de musique pour profiter pleinement du bruit des vagues et du vent allant crescendo en accord avec les tensions des images et de leur rythme. Un film que l’on regarde, que l’on écoute, qu’on saisit et que l’on ressent. L’impression d'être dans une autre dimension.
C'est le portrait d'un film en feu, un film parfait, aussi historique que moderne aux valeurs incandescentes.
Plus nous nous élevons et plus nous paraissons petits à ceux qui ne savent pas voler.
(phrase traduite du latin, issue de la BO du film: une citation inspirée de Nietch)
Et Big Up à Claire Mathon pour la photo et Hélène Delmaire pour la peinture.
Bisous ♥