Je crois pouvoir affirmer, après avoir subi deux de ses films, que je n'aime pas le travail de Carlos Reygadas. Je suis même à deux doigts de la détestatión.
"Japón" (en 2003 déjà) reste comme un des mes pires souvenirs cinéphiliques.
Dix ans après, la scène-type de ce film reste parfaitement ancrée dans ma mémoire douloureuse: c'est un cadrage sur un coin de nature pas désagréable. Le plan, assez esthétique s'étire en longueur. Au moment où on se dit qu'on a compris l'idée, que merde il faut penser à payer la prune qui traine depuis deux semaines sur le bureau et acheter une bouteille de rouge pour le lendemain, on discerne soudain un minuscule point, la-bas, au fond de l'écran à gauche. Petit à petit, on se rend compte que le point, c'est quelqu'un qui marche.
Qui arrive.
Très lentement.
Dix minutes plus tard, il est pleinement à l'écran et on se dit "chouette, le calvaire touche à sa fin !".
Le personnage sort du cadre.
On est donc de nouveau face à ce coin de nature pas désagréable du début, puisque CE PUTAIN DE CADRE N'A PAS BRONCHÉ D'UN QUART DE POIL DEPUIS TROIS JOURS ! Le "cut" est sans doute proche. Mais la bande son est là pour annihiler tout espoir dans l’œuf: on entend le personnage s'éloigner et on subodore vite que son éloignement sera aussi pénible que l'approche.
La description est assez longue, imaginez la scène.
Cette fois, Reygadas ne s'en tient pas là. Ses plans,d'ailleurs, ont gagné en concision.
Il a fallu qu'il ajoute une couche de Weerasethakul (le joli diable rouge), une pincée de Carax (récit décousu aux enchaînements énigmatiques version Holy motors), un enrobage de Lynch (mélange de moments hyper-réalistes et de passage oniriques), un arrière-goût de Kubrick (scène de cul très "Eyes wide shut" dans son aspect impromptu et frontal) et une grande brassée de n'importe quoi sans queue ni tête pour ciment général.
Écheveau long, idées courtes
Parce que ne nous y trompons pas: Carlos n'a aucune idée. L'utilisation du cadre flou constitue le meilleur indice de ce qui semble sous-tendre toute son œuvre: "Je suis tombé sur cette lentille et j'ai trouvé ça chouette". Cette théorie de l'accident lui tient lieu de mantra.
(le catalogue des inspirations lugubres et sans âme de Carlos est d'ailleurs présent dans la très bonne critique de djaevel: http://sens.sc/166ZINd).
Finalement, le fond du problème est bien là: avec du talent, beaucoup des excès de Reygadas seraient agréables.
Avec des idées, certaines de ses scènes seraient inoubliables.
Avec les deux, nous toucherions au chef d’œuvre.
Sans l'un ni l'autre, on a un film interminable, indigeste et terriblement prétentieux.
Surnagent quelque scènes, plastiquement très réussies. Mais même cette scène d'ouverture, mise en exergue dans presque chaque critique du film sur SC, tient sa part de forfaiture: une soirée d'orage est terriblement graphique et envoûtante.
J'avais moi-même tiré une séquence magnifique d'un soir de dérèglement climatique effrayant sur mon smartphone. Vous pouvez me croire sur parole: ça ne suffit pas à faire de moi un cinéaste.