Dans un immeuble bourgeois cossu on assiste à l'ascension sociale d'Octave Mouret grâce aux femmes, de simple employé il deviendra le patron du grand magasin Au Bonheur des Dames dans le roman suivant. Pour ceux qui comme moi ont un mauvais souvenir de Zola, dans mon cas par la faute du programme scolaire qui n'avait retenu de lui que son engagement politique dans J'accuse ou sa conscience aigüe de la lutte des classes dans l’Assommoir ou Germinal, Pot-Bouille est une révélation. Zola était aussi sentimental. Le découpage du roman doit bien se prêter à l'adaptation cinématographique mais il faut saluer en Henri Jeanson un grand scénariste qui n'a pas dû s'amuser à élaguer une œuvre caractérisée par ses redondances, ses très nombreux personnages et ses chapitres inutiles, du moins je le suppose comme je ne l'ai pas lu. Le film est donc le contraire de ce que l'on pouvait en attendre, j'avais déjà été échaudé par Germinal de Claude Berri, et quelle ne fut pas ma surprise de voir un film avec du rythme, une caméra virevoltante, des dialogues enlevés et des acteurs à leur meilleur niveau.
En premier lieu Gérard Philippe qui interprète Octave Mouret, avec son perpétuel sourire de commercial ou de politique, séducteur irrésistible « les femmes, c'est son rayon » et en même temps habile, ambitieux et cynique, plus renard dans le poulailler que coq de la basse-cour. Danielle Darrieux compose le personnage de Madame Héduin la patronne d’Au bonheur des dames, une femme hautaine qui dirige le magasin à la place de son mari, et Dany Carrel alors débutante joue une Berthe Josserand amoureuse d'Octave pleine de fraîcheur juvénile avant de devenir probablement une fois mariée une harpie comme sa mère. La mère de Berthe justement, Madame Josserand, avec qui s'ouvre le film, est une incarnation de l'arrivisme, de la cupidité, de l'autoritarisme et de la bêtise. Elle voit en son mari trop effacé « un crétin, une larve, un poisson mort... » Elle est jouée par une Jane Marken remarquable. On le voit, les personnages principaux ne brillent pas par leur humanité ni par leur bienveillance. Pourtant Julien Duvivier ne porte pas un regard de misanthrope, contrairement à la caricature que l'on fait souvent de lui. Les personnages, à part la mère Josserand, évoluent avec douceur dans un décor élégant, ce qui atténue leurs défauts et rend le film léger avec un comique de situation digne du théâtre de boulevard. L’escalier central, centre névralgique de l'immeuble, où Berthe vient se jeter dans les bras d’Octave Mouret juste après son mariage avec Auguste Vabre, permet de dévoiler les divers secrets d’alcôve de l'immeuble. Auguste Vabre donc, est joué par Jacques Duby. Comme dans Thérèse Raquin il incarne un mari cocu, voire même cocu en chef dans une scène où sont rassemblés les autres hommes mariés, tous cocus et tous partageant le lit d'une maîtresse, à tel point que bien qu'incarnés par des bons acteurs, il est difficile de les différencier. Pareil pour les autres actrices, toutes avec l'infidélité comme point commun, à part Anouck Aimée en femme frustrée, et même après avoir diminué de plus de la moitié les personnages de Zola, il en reste encore beaucoup , en comptant aussi les domestiques colporteuses de ragots, comme ingrédients de cette « popote »bourgeoise, j'ai lu sur wiki que c'était la signification ironique de Pot-Bouille, pour souligner la médiocrité des occupants en opposition au luxe de la façade. J'ai juste retenu au sein des actrices Monique Vita dans le rôle de la femme qui pose nue.
Le savoir-faire de Duvivier et son sens du vaudeville se manifestent dans cette scène qui résume l'ambiance du film. Le père d'Auguste Vabre vient de mourir. La caméra glisse le long de son bras et révèle une chaussure accrochée à sa main.
A qui est ce soulier ? demande la fille du défunt.
A moi, madame ! répond la bonne.
Arrangez votre corsage, mademoiselle !
Le cinéaste continue de filmer le défunt pendant que sa fille cherche fébrilement dans un tiroir les papiers de la succession de son père.
Pot-Bouille a été pour moi une très bonne surprise, tant pour la découverte d'aspects méconnus de l'univers de Zola comme pour la découverte d'un Julien Duvivier bien loin de la noirceur de ses films avec Gabin.