Pot-Bouille, voici un exemple de film tiré d'un roman – connu – d'un auteur connu, Zola - que je n'ai pas lu. En fait, j'aime beaucoup le film que je trouve jubilatoire à travers une peinture au vitriol d'une société bourgeoise qui n'est respectable qu'en façade. Jubilatoire et satirique sont les éléments d'un solide humour noir. Et j'aurais trop peur d'être déçu par le roman … Ça m'est déjà arrivé avec Zola.
Mais commençons par le début. Julien Duvivier a donc réalisé ce film en 1957 sur la base d'un scénario et des dialogues féroces établis par Henri Jeanson et Leo Joannon, deux pointures de l'époque avec une ribambelle d'acteurs tous plus savoureux les uns que les autres.
L'histoire, c'est celle du jeune Octave Mouret qui débarque de sa province et sa Provence natale dans un Paris sérieux et pluvieux. Mais à peine arrivé, il ne cesse d'y faire des rencontres féminines toutes plus affriolantes les unes que les autres. Certaines sont à cueillir au saut du nid, d'autres dans le dos de maris qui en font autant et d'autres encore froides comme la glace qu'il semble délicieux de dégeler. Lorsqu'on lui dégote un job dans le magasin "Au bonheur des dames, alors là c'est l'extase. Justement, c'est son seul souci sur cette terre !
Le film est une suite de marivaudages divers avec les nanas qui tombent, tombent, tombent et selon les avis compétents, cette hécatombe fut la plus belle de tous les temps. Mais c'est quand même aussi et surtout un film noir où les mères se comportent comme des maquerelles et où les filles devenues femmes ont vite compris comment tirer partie des insuffisances ou absences du mari. Finalement, c'est peut-être le menu peuple qui fait preuve de la plus grande moralité.
On sent que Julien Duvivier a pris un sacré plaisir à mettre en scène et à monter ce film avec des paravents indiscrets, des portes indûment ouvertes, des oreilles qui trainent – toujours - là où il ne faut pas. Les scènes de séduction s'effondrent pour se reconstruire ailleurs et la construction du film permet de passer logiquement d'une scène à l'autre, d'une femme (ou d'un homme) à l'autre, pourrait-on presque dire. L'immeuble est respectable mais une porte fermée n'y sert qu'à cacher quelque turpitude. Et une porte fermée n'a d'utilité que si, de temps à autre, on l'ouvre ou on l'entrouvre de façon à découvrir les secrets d'alcôve. Et puis tout le monde sait qu'un secret, c'est une information que l'on ne transmet qu'à une seule personne à la fois.
Pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, on ne peut s'empêcher de rire lors d'une scène dramatique – remarquablement construite - où un vieux vient de mourir, la tête en gros plan affalée sur le bureau. Il tient bizarrement une chaussure de femme à la main. Une rupture d'anévrisme, sûrement, en pleine action …
- A qui est cette chaussure ? demande la fille du mort
- A moi ! répond la bonne
- Boutonnez votre corsage ! rétorque la fille du mort qui fouillera en vitesse et avec avidité tous les tiroirs du bureau dès que la bonne aura tourné le dos.
Et les acteurs savoureux, alors ?
Eh bien, il y a un formidable jeune Gérard Philippe dans le rôle d'Octave Mouret qui a tout du vrai séducteur, séduisant à la voix bien posée, grave, pleine de chaleur, rassurante. Comment est-ce possible de résister ? Un jeune coq (ou un renard, plutôt) dans une basse-cour … Il a vite compris ce que cache la façade de respectabilité de tous ces bourgeois.
Les rôles féminins ne sont pas en reste à commencer par une délicieuse et jolie Dany Carel qui joue en finesse son rôle de jeune fille mal mariée à un pâle homme (Jacques Duby) qu'elle va délaisser assez naturellement pour Octave Mouret (Gérard Philippe) ; L'autre rôle féminin est tenu par Danielle Darrieux dont le rôle est d'être la patronne du magasin "Au bonheur des dames" qui observe, entre ses cils, les manigances et la maestria de ce vendeur insolite, Octave, auprès des femmes et des clientes. Saura-t-elle résister à la fougue juvénile de Gérard Philippe.
Et puis, Anouk Aimée, une autre femme (mère de famille, celle-là), Michelle Grellier, Pascale de Boysson, Monique Vita, d'autres femmes ...
Et puis, Gabrielle Fontan ! la bonne, grincheuse devant toutes ces grivoiseries, excellente comme d'hab.
C'est un film noir, un film satirique mais un film absolument jubilatoire plein de finesse que je me plais toujours à revoir.
Et dire que je ne sais toujours pas ce que signifie "pot-bouille". Si je veux le savoir, il faudra peut-être que je me décide à le lire, ce roman.