« Poultrygeist » est avant tout le film d’un homme : Lloyd Kaufman. Ce dernier fonda Troma Entertainment dans les années 70 et se spécialisera dans la production et la réalisation de films souvent gores, la plupart du temps drôles mais toujours libres. Troma permettra à de nombreux apprentis comme Trey Parker (South Park), Trent Haaga (Cheap Thrills) et James Gunn (Gardiens de la Galaxie) de se former au métier. « Poultrygeist » est une pure production Troma et son résumé sera sûrement plus efficace pour illustrer mon propos : La chaine de restaurant « Fast Food Bunker » est bâtie sur un cimetière indien maudit et doit faire face aux protestations du CLAM, organisation de lesbiennes altermondialistes. ça promet.
Lorsqu’on lui demande d’où lui est venue l’idée de ce film, Kaufman évoque une anecdote assez parlante : Après l’ouverture d’un McDonald à côté de Troma, de nombreux rats firent leurs apparitions dans la cave de l’immeuble. Cette anecdote (sûrement fausse, Kaufman en grande forme comparait dans la même interview son film à la Liste de Schindler) pourrait faire penser que Poultrygeist constitue un pamphlet contre l’industrie fast-food.
Il est vrai que quelques attaques cinglantes contre McDonald font mouches comme le fameux « I’m lovin’ it » du patron de Fast Food Nation après avoir mangé un hamburger infecté répugnant. Mais le film ne s’arrête pas là et tout le monde en prend pour son grade : l’alcoolisme des amérindiens, l’avidité des grandes corporations, la radicalité d’une communauté gay, le manque d’ambition de la jeunesse ainsi que le stéréotype des musulmans terroristes (donnant lieux à certaines des meilleures répliques du film). Mais j’avoue avoir un faible pour le foutage de gueule total que Kaufman adresse aux altermondialistes. Il dépeint une jeunesse révoltée qui, à force vouloir s’indigner contre tout, finit par s’indigner contre n’importe quoi. Il montre également le manque de conviction de ses jeunes qui lèvent le poing contre les corporations en tenant un café « Starbuck » de l’autre main.
Même si l’aspect satirique (sérieux ou pas) est un des points forts du film, il donne également aux fans de Troma ce qu’ils sont venus voir, à savoir du gore, du cul et… des chansons ! L’aspect comédie musicale est parfaitement géré et permet de donner à la mise en place des personnes un intérêt supplémentaire. Des chansons drôles et étonnamment bien écrites que vous fredonnerez longtemps après le générique de fin (« Fast Food Love » en tête). Alors que le manque de budget (450,000 dollars seulement, le plus gros budget pour une production Troma) se fait sentir à certains moments, le film ose tout et apporte un soin particulier à ses séquences clés. Je préfère ne pas en dire plus mais disons que je n’avais plus trouvé une séquence gore aussi folle depuis le fameux balancement d’ « Une Nuit en enfer ».
« Poultrygeist » offre un spectacle d’une liberté de ton thématique et formelle comme peu de films peuvent (osent ?) encore le faire de nos jours. Il nous fait repenser aux vieux délires des Peter Jackson et Sam Raimi, maintenant partis vers d’autres horizons. Contrairement à eux, Kaufman est toujours resté dans la branche indépendante du cinéma en vieux trublion irrécupérable et incapable de faire des compromis qu’il est. L’homme qui a toute sa vie voulu préserver son irrévérence dans un show-business dominé par des conglomérats qui préfèrent les produits calibrés. Cette histoire vous rappelle celle du film ? Moi aussi. Et si au travers d’une chanson de « Poultrygeist », le vieil homme jetait un regard amer en arrière en essayant de dissuader son alter-ego plus jeune de se lancer dans la même voie que lui ? Kaufman répondrait sûrement à cette interprétation : « My movie is not about that ! It is about the best explosion of shit scene in the history of Cinema !!!».