Habitué à retranscrire des guerres fictives sur grand écran, Peter Jackson a cette fois délaissé les mondes imaginaires pour se pencher sur le premier conflit mondial, le vrai, celui auquel son grand-père a participé et dont on vient de commémorer les 100 ans de son armistice (à ce propos, on ne peut que déplorer que ce film n'arrive sur les écrans français que maintenant, 9 mois après lesdites commémorations...).
They Shall Not Grow Old est un documentaire basé sur les archives de la BBC et du Imperial War Museum de Londres. Jackson et son équipe ont visionné des dizaines d'heures d'images d'époque (le cinéma n'en était alors qu'à ses balbutiements) et écouté d'innombrables interviews d'anciens soldats (on regrettera au passage que les sources soient si peu détaillées).
Ainsi, le documentaire se présente comme une suite de séquences sur lesquelles on a essayé de "greffer" des extraits de témoignages qui puissent être, autant que possible, en rapport avec les images.
Le documentaire n'est orienté que du point de vue britannique.Les débuts prennent place à l'été 1914 avec des images de la mobilisation à Londres et notamment des entraînements imposés aux "bleus" (comprenez, des gamins de parfois seulement 17 ans, qu'on aurait même pas dû laisser s'engager). L'heure était encore à l'enthousiasme, au patriotisme et à la certitude que tout cela n'était l'affaire que de 6 mois, 12 tout au plus...
Les premières semaines de formation passées, nous voici désormais quelque part dans le nord de la France, ou qui sait, peut-être en Belgique. Sans crier gare, les images d'époque, en noir et blanc, et présentant de manière très typique, des mouvements "accélérés", opèrent en un instant, un fondu en (fausse) couleur. Le choc est rude. Le film d'un autre âge qu'on observait, non sans intérêt, mais avec une certaine distance, devient d'un coup bien plus réel, bien plus proche...Ces visages de "poilus" deviennent subitement ceux d'hommes qui auraient pu être ceux de nos frères, de nos amis...les nôtres...
Ces hommes, évidemment peu familiers des caméras, sont souvent souriants, en dépit d'une vie quotidienne qu'on imagine difficile. Des sourires qui dévoilent quasi systématiquement une dentition en bien piètre état, rongée par le tabac et le manque d'hygiène. Mais le drame est loin de s'en tenir à une question de santé buccale. Les images et les commentaires relatent bientôt l'enfer dans lequel ces malheureux ont été envoyé. Et si l'ennemi ne fait pas de cadeaux (snipers, bombardements, utilisation de gaz toxiques...), le calvaire qui se dessine jour après jour est aussi celui des tranchées, de leur puanteur, de leur humidité, de l'absence de lits, des intempéries, des rats et des poux qui harcèlent les hommes à chaque instant...
They Shall Not Grow Old est un film d'horreur, mais pas franchement du même genre que ceux que Jackson réalisait à ses débuts. Il nous plonge au cœur d'une guerre qu'on jurait être la dernière au moment où chacun (du moins celui qui avait la chance d'être vivant) pouvait enfin rejoindre sa terre natale, un jour de novembre 1918. Une guerre dont la plupart des protagonistes avaient fini par être indifférents au fait qu'elle eut été gagnée ou perdue.
On pourra reprocher à They Shall Not Grow Old de n'être raconté que du point de vue britannique. De même, les scènes montrées à l'écran manquent d'explications, on ne sait finalement jamais vraiment où elles ont été filmées, ni quand (mais quelqu'un le sait-il seulement?)...De même, le film rend assez mal compte du déroulé des événements et de la longueur du conflit. Il se garde bien d'aborder certains sujets fâcheux, comme les stratégies jusqu’au-boutistes et vouées à l'échec des chefs de guerre qui menèrent bien des hommes à la mort, et évite, plus globalement, toute analyse politique du conflit. Mais tel n'était probablement pas le but.
Pour cela, on renverra volontiers à des témoignages écrits bien plus complets, notamment les très précieux cahiers de guerre de Louis Barthas.
Ceci étant, il n'en reste pas moins un document rare, émouvant, utile pour ceux qui connaissent mal le sujet, et qui en dit suffisamment pour qu'on en retienne l'essentiel: "ça n'en valait pas la peine".
Un siècle plus tard, pas sûr qu'on ait vraiment retenu la leçon...