Filmé entre 2011 et 2016 par Waad al-Kateab, alors simple jeune étudiante à Alep, Pour Sama est, comme son nom l'indique, un film directement dédié à une personne, en l'occurrence la fille de la réalisatrice, afin de lui expliquer les choix de ses parents, notamment celui de rester en Syrie, lors du conflit.
Un point qui revient systématiquement concernant ce documentaire est qu'il ne laissera personne indifférent. Pour le coup, je ne vois pas comment on pourrait dire l'inverse puisque Pour Sama a été découpé à partir de plus de 500 heures d'images amateur (et parfois même très amateur puisqu’on sent que Waad al-Kateab ne sait pas filmer) et n'était pas prévu pour être un film à la base. On est donc loin du documentaire tourné par une équipe de spécialistes dont le passage en Syrie ne va être qu'éphémère.
L'une des forces du long-métrage est d'arriver à capter le réel, particulièrement en arrivant à le prendre sur le vif, comme lorsque l'on voit une mère cacher le fait qu'elle prépare de la nourriture avariée à sa famille (ces derniers n'ayant bien évidement plus rien à manger), mais surtout, lors de la naissance d'un bébé par césarienne qui semble mort-né. Certains passages permettent de se rendre compte de l’état d’esprit des habitants, notamment des enfants qui semblent s’être adaptés plus facilement que leurs parents au conflit. D’autres de la réalisatrice et de son mari et du doute qui les envahis. Enfin certains passages montrent la rapidité avec laquelle certaines personnes peuvent disparaitre, certaines personnes présentées quelques minutes plus tôt dans le film mourant brusquement.
Bien que de nombreuses images chocs soient montrées, le but du long-métrage n’est pas non plus là. Par exemple, la réalisatrice a filmé une pile de cadavres de très jeunes enfants, mais ce passage n’a pas été inclus dans le film, notamment afin de ne pas porter atteinte à la dignité individuelle. Au contraire, certaines séquences montrent des moments d’accalmies, voir même de joie (le cadeau kaki).
Il y a deux points qui me plaisent moins dans le film cependant.
Le premier est le malaise provoqué par la volonté de tout filmer. Peut-être que l'utilisation de la caméra est plus acceptée en Syrie, mais j'avoue m'être senti gêné lors des moments où Waad filme une personne venant de perdre un membre de sa famille. D'ailleurs, mis à part la réalisatrice, seule une personne évoque la caméra durant tout le film. Certes, c'est un problème intrinsèquement lié au cinéma que de devoir couper des scènes, et encore plus dans un documentaire se basant sur plus de 500 heures d'images ; mais en l’occurrence, j'aurais aimé que ces moments où le quatrième mur est brisé, où l'utilisation de la caméra est évoquée, soient plus présents.
D’ailleurs, je ne comprends pas la présence d’images filmées par un drone. Dans les interviews que j'ai lus, Waad parle uniquement de son téléphone portable et de la caméra qu'elle a récupérée. Je suppose donc que ces images-là ont été prises plus tard ou par quelqu'un d'autre ; mais en l'état, ces passages n’étaient pas vraiment nécessaires.
Le second défaut concerne la manière dont sont traités les participants de la guerre en Syrie : on a les Russes associés au régime de Bachar, présentés très négativement d'un côté… mais personne de l'autre. À croire que ces deux seules entités massacrent la population sans que le monde entier en ait rien à foutre (mon détecteur de sarcasme s’affole). C'est un défaut cependant parfaitement compréhensible dans ce documentaire dont le but est avant tout de montrer le point de vue des civils, notamment leurs différentes craintes, et non de présenter le conflit d’une manière plus objective.
Le documentaire reste dans l’ensemble très bon et le fait d’être immergé dans le conflit directement à partir du point de vue des civils renforce grandement l’impact des différentes situations. Un film indispensable en somme, s’il fallait le préciser.