J'écris régulièrement sur un blog ciné, sur lequel une collègue a récemment rédigé une critique positive pour Pourquoi j'ai pas mangé mon père. Elle m'a demandé ce que j'avais contre le film, et même si sur le moment la réponse m'a paru évidente (un film de Jamel, où l'on ressort De Funès du placard), elle m'est restée en tête. J'y ai repensé les jours suivants, et je me suis fait la réflexion que, tout comme on a besoin d'aimer des films, on a besoin d'en détester.
Et celui-là était parfait pour ça : un film d'animation qui adapte plus ou moins un petit classique de la littérature, où Jamel garde son rôle de mec de cité, mais en incarnant un singe en images de synthèse, qui a en permanence sa main dans le pagne de façon limite obscène. Et avec Louis De Funès ressuscité par la motion-capture.
Je voulais détester ce film. Mais là, j'ai poussé le vice jusqu'à aller le voir au cinéma. Peut-être parce que j'ai plus de temps libre en ce moment.
Pour ne pas paraître de (trop) mauvaise foi, je tiens à préciser que j'ai, évidemment, déjà vu des films que je pensais que je n'aimerais pas et qui m'ont agréablement surpris. Mais pour Pourquoi j'ai pas mangé mon père, dans mon esprit il n'y avait pas de doute que ça serait mauvais, il restait juste à savoir si ça serait suffisamment nul pour en rire.
Pourquoi j’ai pas mangé mon père nous présente une communauté de singes, dont le roi voit sa femme accoucher de deux fils. L’un costaud, mais l’autre frêle et né en premier. C’est celui-ci qui est censé hériter du trône, mais le roi ordonne de s’en débarrasser.
Ce singe qu’on condamne à la mort, c’est Edouard, le personnage de Jamel.
Je dois l’avouer, jusque là, j’ai été très surpris par le film, en raison de son animation et de ses décors de qualité, de ses jolis mouvements de caméra…
Jusque là, seuls les quelques moments où l’on aperçoit le faciès de Louis De Funès apposé sur le corps d’un singe m’ont fait grincer des dents. C’est étrange de parler de surjeu pour des personnages en image de synthèse, mais oui, le simien qu’incarne De Funès depuis la tombe, ainsi que la méchante du film, en font des caisses.
Mais autrement, le tout jeune Edouard et ses premières mésaventures sont d’une naïveté presque attendrissante, qu’on pourrait voir dans n’importe quel film pour enfants.
Pour moi, les choses ont mal tourné dès le moment où Edouard, par sa physionomie et sa voix, devient l’incarnation de Jamel. Le personnage est devenu directement détestable à mes yeux. Je n’ai jamais aimé Jamel et son humour, et le problème ici, c’est que Jamel fait du Jamel… il fait ce qu’il a toujours fait et qui m’a toujours agacé : il adopte cette voix irritante de jeune de cité qui, quand il n’invente pas des mots, cherche à employer un vocabulaire fourni sans connaître la définition de tel ou tel mot. Il aime également balancer, en guise de blagues, des références gratuites, faciles, et dans le cas présent, anachroniques : le rat qu’il appelle "Ratatouille", ou alors la réplique "Elle s’appelle Lucie, je l’ai trouvée dans le ciel". C’est une manie que j’avais déjà remarquée dans la bande-annonce d’Hollywoo, où ça y allait : il y a un personnage indien ? Surnommons-le "slumdog millionnaire" !
Étrangement, Jamel semble aimer se moquer des étrangers ; j’ai été surpris par la quantité de blagues insistantes sur les portugais, et encore plus par la représentation de Roms qui réclament de l’argent ! J’ai trouvé ça d’un mauvais goût incroyable.
Le lien entre Edouard et Jamel va jusqu’au détail de la main handicapée rangée non pas dans le pantalon mais dans le pagne (de façon un peu moins obscène que dans la première bande-annonce, heureusement). J’avais lu dans une autre critique que c’est ce qui donnait l’idée à Edouard de marcher sur ses deux pattes arrières, mais ce n’est pas le cas ; cette main cassée n’a aucune fonction si ce n’est refléter le physique véritable de Jamel, rapprochant d’autant plus l’acteur de son personnage, ce qu’il est important de garder en tête quand on voit la place d’Edouard dans le film.
Passé pour mort, Edouard a vécu toute sa vie en dehors de la société de ses frères, les simiens, en compagnie de Yann, quant à lui rejeté car il est albinos (heureusement qu’on nous le dit, parce que je ne l’aurais jamais remarqué). Mais un jour, il s’aventure jusque chez les simiens, et se retrouve malgré lui mêlé à leurs affaires.
Quand Edouard et Yann viennent les voir, les simiens font une sorte de partie de basketball mais en se balançant de liane en liane, sur du dubstep (oui, oui). Ce sont donc des êtres assez évolués pour avoir inventé un sport, mais ils sont éberlués à chaque "invention" que leur présente Edouard, tel que… leur reflet dans l’eau. A moins que de toute leur vie, les singes n’aient jamais été en contact avec de l’eau, je ne vois pas comment c’est possible.
Et il faut voir leur réaction d’étonnement à chaque fois, que ce soit en voyant une matière collante, ou des feuilles assemblées ensemble pour faire une coiffe… on dirait qu’ils assistent à de la magie, alors que, vraiment, Edouard se contente de poser des feuilles sur la tête du roi.
En 5 minutes, le héros accumule les soi-disantes inventions de ce genre ; il a vécu toute sa vie à l’écart de la société, mais est 10 fois plus "avancé" qu’eux ? Et par ailleurs, comment fait-il pour parler la même langue qu’eux ?
Il faut croire que ce singe a la science infuse, la preuve, dès qu’il découvre quelque chose qu’il ne connaît pas, il sait tout de même déjà comment ça s’appelle.
Edouard est un héros, que dis-je, un génie ! L’homme ne descend pas du singe, il descend de Jamel ! Il découvre tout, absolument tout : le feu, la cuisson, le baiser, la musique... Séquence abominable que celle où il découvre la musique, d’ailleurs : il tape sur quelques objets, il découvre une mélodie, invente un beat, et soudain tout le monde se met à danser et à chanter en franglais, "Get up et fais-ton truc", telles sont les paroles… De loin la séquence la plus douloureuse du film, j’avais envie de désactiver mes yeux et mes oreilles ; les boucher n’aurait servi à rien, j’étais au cinéma.
Edouard tombe aussi amoureux, lors d’une scène ridicule et cliché où il voit une femelle au ralenti et entend une musique romantique. A la suite de ça, il lui court après elle pendant "une semaine" (est-ce véritablement une semaine ou est-ce une expression ? J’étais prêt à m’attendre à tout avec ce film au bout d’un moment) en l’interpellant tout du long de "eh, mademoiselle !". Si ça c’est pas du harcèlement…
Durant la poursuite, il marche même sur de la lave pour elle. Jésus marchait sur l’eau, Jamel lui marche sur de la lave.
On n’est pas à une incohérence près.
Le bestiaire préhistorique dans le film consiste plus ou moins à reprendre des animaux en leur mettant des cornes. Des autruches avec des cornes, des girafes avec des cornes… mais oui, mettons des cornes, ça va faire "préhistoire".
Le problème avec les rhinocéros, c’est qu’ils en ont déjà ; du coup, c’est leur corps entier qui est recouvert de pointes. Ce qui ne les empêche pas de charger en… roulant comme des billes de flipper. C’est alors qu’un gorille en saisit un et le balance comme s’il ne pesait rien.
Non, ce n’est pas une blague, c’est réellement dans le film.
Dans Pourquoi je n’ai pas mangé mon père, la sève brûle comme de l’essence, et les arbres explosent comme s’ils étaient remplis de dynamite. ("c’est Hiroshima" dit un personnage… hrm)
Quand j’ai évoqué les incohérences du film avec certaines personnes, on m’a sorti l’excuse habituelle, que je déteste, "c’est un film pour enfant". Désolé mais c’est trop facile, on ne peut pas tout pardonner ainsi, et il existe de bons films pour enfants qui ne prennent pas le public, aussi jeune soit-il, pour des idiots. Et je ne reproche pas au film de Jamel des fantaisies mais un manque de logique. La scène qui le démontre le mieux, c’est celle où une foule de singes en colère arrivent avec des torches en bois, et que l’un d’eux dit, littéralement, "il n’y a plus de bois". (c’est l’évocation de cette scène dans la superbe critique de Mike Öpuvty qui m’a donné envie de voir le film)
Le film est mal écrit, liant les scènes avec une intrigue très classique et jalonnée de clichés (il y a une réplique que j’avais prédit, mot pour mot, une minute à l’avance : "parce que c’est mon frère") ; et apparemment l’histoire pompe pas mal de moments du Roi lion, bien que je n’aie pas assez de souvenirs de ce Disney pour m'en rendre compte.
Il y a quand même eu trois scénaristes, et trois autres personnes pour les dialogues, c’est dingue. Aucun d’eux n’a su régler les problèmes du script, comme la disparition du personnage de Yan, dont on ne parle jamais avant qu’on ne le "retrouve" à la fin ? Ou l’absence totale de répercussions de la disparition du cadavre du Roi, que son fils devait manger selon la tradition ?
Non, le film se concentre essentiellement sur la représentation du héros qu’est Edouard, tellement fort qu’il est capable de monter à un arbre et sauver une simienne d’un incendie, avec une seule main !
Et la conclusion fait même carrément du personnage un Moïse avant l’heure, qui emmène son peuple sur la terre promise !
Honnêtement, je m’attendais quand même à pire que ça. Il n’empêche que Pourquoi j’ai pas mangé mon père est un mauvais film, au message nauséabond.