Ce genre de récits de voyages temporels et de la théorie de pouvoir modifier le "Présent" en agissant sur le "Passé" se casse souvent les dents d'un strict point de vue narratif... Ici, le scénario - brillant - s'amuse à brouiller les pistes à l'envie et le spectateur peut choisir de se farcir le chou en cherchant à tout comprendre ou il peut accepter joyeusement de s'y perdre copieusement. Mon esprit logique étant handicapé, j'ai choisi rapidement et de gaieté de cœur de me noyer sans rien comprendre dans ce complexe récit, me laissant porter par ce plaisir de marcher sans repères et il me faudrait peut-être une deuxième voir une troisième vision pour commencer à déchiffrer le machin et parvenir à savoir si, oui ou non, tout ça tient debout au niveau de la chronologie et de la "crédibilité" du récit.
Je n'ai donc pas du tout été gêné par "l'abracadabrandesque" du film, bien au contraire, mais - hélas, en revanche - par une vraie faiblesse dans le casting...
En effet - sans trop déflorer le film - on peut au moins dire qu'il ne traite pas que des voyages spacio-temporels mais également des glissements d'une identité à une autre et même d'une forme de "trans-trans-genderisme" assez passionnant.
Il nous mène à traverser ses glissements de genre, de sexe, d'individu, de lieux et de temps avec un vrai sens du ludique et du récit arborescent qui rappelle (toutes proportions gardées) le très ambitieux - parfois sous-estimé - et magnifique Cloud Atlas des Wacho.
Mais les moyens et le talent ne semblent pas toujours suffisants à ce que l'on y croit pleinement :
Le fait que l'homme du début soit en réalité une femme "transformée" (La Piel que habito inversée ?) est instantanément éventé par l'incapacité de l'actrice à "jouer" l'homme, en dehors d'un maquillage léger et masquant peu sa féminité...
TOUTES les scènes où elle apparaît en femme sont merveilleuses mais dès qu'elle est sensée incarner un homme, Sarah Snook nuit au film, à sa logique et surtout à sa crédibilité...
Il eut été une riche idée d'employer un(e) vrai(e) acteur ou actrice transgenre pour lui permettre "d'être" pleinement un homme (ou une femme) dans son identité réelle et pour revenir au genre que son corps et la société lui imposait avant par la simple réappropriation du travestissement qu'il ou elle maîtrisait parfaitement autrefois, à l'enfance et à l'adolescence. Le film aurait sans doute gagné là en trouble et en audace.


Ou alors il aurait fallu mieux maîtriser son casting, choisir un comédien plus féminin ou une actrice plus androgyne pour que le charme opère pleinement.
Sarah Snook en homme ressemble étrangement à Leonardo Di Caprio, en plus, et cela ne cesse de troubler...
Ce problème de casting s'avère dans le déroulement du récit de plus en plus handicapant car il empêche une foi totale du spectateur dans ce récit pourtant passionnant et il le tient parfois à distance.


Ceci étant dit, le film parvient malgré ça et avec une ambition qui sait rester modeste (comparé à Cloud Atlas, à l'ambition folle... Ou même comparé à Looper, sur un sujet voisin) à nous embarquer souvent pleinement et avec un vrai sens de la mise en scène et du récit.
Ethan Hawke est absolument épatant de bout en bout et les glissements qui concerne son personnage passent du coup "comme une lettre à La Poste" sans qu'on se pose les mêmes questions...
Hélas, les frères Spierig, malgré tout le talent d'entertainers et de brillants metteurs en scène de série B, ne sont pas les Wachowski et ils n'ont - de toute évidence - ni les moyens financiers, ni le prodigieux casting de Cloud Atlas et même s'ils ont la sagesse de rester modestes dans leur ambition louable d'élever la série B à une vraie noblesse et à un beau respect du spectateur, leur talent ne suffit pas à complètement faire oublier ce miscasting de Sarah Snook...
Ils sont pourtant par le passé parvenu à élever la série B de zombies ou de vampires à un niveau quasi-inégalé ces dernières années, mais l'essai est ici moins convaincant, malgré les nombreuses qualités du film, à commencer par celle de ne jamais prendre ses spectateurs pour des imbéciles et de leur accorder toute l'intelligence nécessaire à la lecture de ce récit assez incroyable et captivant.


On a donc là un film semi-réussi ou semi-raté, selon qu'on préférera voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, mais un film qu'on ne peut pas mépriser ou balayer d'un simple revers de la main comme un sous-produit de Série B.
Les frères Spierig semblent même en train de construire l'Histoire du ciné-bis et de la série B des années 2000 et je souhaite que le temps leur accorde ce respectable statut qu'ils méritent amplement.
Predestination est un objet aux contours flous et difficile à définir mais il reste, malgré ses défauts évidents un objet intéressant et éminemment respectable.
Undead était d'une efficacité redoutable et toujours très drôle, Daybreakers était une éclatante réussite du genre, confirmant les espoirs placés en eux.
Predestination malgré ses défauts démontre qu'ils ont du talent et des idées à revendre et que l'avenir leur est absolument ouvert.
Si seulement une machine à voyager dans le temps pouvait me montrer leurs prochains films... J'ai l'intuition qu'ils seront excellents... Aussi passionnants en tous cas que les trois précédents malgré et avec leurs défauts.


PS: le voyage dans le futur m'a désormais permis de voir l'immonde Jigsaw & la médiocre Malédiction Winchester (qui avait pourtant tout pour réussir)... va falloir vous remuer les Spierig parce que les beaux espoirs placés en vous semblent hélas être en train de finir en eau de boudin !!!

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le 6 déc. 2014

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Foxart

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