Le lexique du temps
Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...
Par
le 10 déc. 2016
260 j'aime
19
Denis Villeneuve est un mec énervant. Il a déjà derrière lui une filmo des plus intéressantes (même si je n'ai pas encore vu ses premiers films et que je trouve Incendies assez surcoté bien que correctement mené) qu'il conduit tambour battant depuis Prisoners. Un film par an et la qualité est constante, que demander de plus ? Une première incursion dans le domaine de la SF, par exemple, qui semble particulièrement propice aux expérimentations psychologiques du bonhomme. Si vous avez un tant soit peu lu des critiques, vous savez que le pari est tenu tant le consensus tend d'un seul côté, celui d'un film réussi.
La SF a toujours été un prétexte à des critiques du contexte socio-politique dans laquelle elle s'inscrit. D'un film de rencontre avec des extra-terrestres Villeneuve tire une fable sur la communication et ses enjeux, tout en y insufflant des questionnements féministes inhérents à son oeuvre. Après Emily Blunt dans Sicario c'est au tour d'Amy Adams d'endosser le rôle de la femme forte. Villeneuve est à ma connaissance le seul réalisateur dans le système américain (même si nous allons voir plus tard qu'il en brise les codes) à écrire des personnages féminins dénués de clichés, vrais, et complexes. Il est en somme l'un des rares à les considérer telles qu'elles sont, comme des êtres humains. Dans ce Premier Contact Louise n'est en effet à aucun moment sexualisée ou considérée comme un simple objet, et la romance est secondaire, ne prend que 10 minutes de film et est totalement justifiée. Amy Adams campe avec brio cette femme esseulée qui préfère s'isoler loin du vacarme de la ville et qui porte subitement le destin du monde sur ses frêles épaules. Mais Premier Contact, comme bon nombre de films du canadien, est un film de l'esprit et non du corps. Malgré sa beauté c'est par son intelligence que Louise surmonte les obstacles dans un entourage presque exclusivement masculin. Les hommes autour d'elle ne pensent qu'à la menace potentielle que représentent ces visiteurs alors qu'elle au contraire va naturellement leur faire confiance. Les atouts d'Amy Adams ne sont nullement mis en valeur vu qu'elle passe la plupart du film en tenue militaire ou en combinaison anti-radiation. Si Jeremy Renner tombe sous son charme, c'est parce qu'il tombe amoureux de son esprit et non de son corps, ce qui est renforcé par les déclarations du Général Shang à son égard. Voilà déjà un exemple de retournement des codes Hollywoodiens où la femme ne fait souvent avancer l'intrigue que grâce à son décolleté.
Villeneuve signe ici un vibrant plaidoyer en faveur de la communication entre les peuples. L'arrivée des aliens n'est en effet qu'un prétexte pour nous faire réfléchir sur nous-mêmes. Comment pouvons-nous réussir à les comprendre alors que nous peinons à nous comprendre entre nous ? À la première difficulté rencontrée les bases coupent tout contact entre elles par peur de l'autre. Alors que Louise plaide la confiance, les militaires et le gouvernement choisissent la méfiance, ce qui aurait pu avoir des conséquences plus que catastrophiques. Ainsi, on trouve forcément beaucoup de scènes de dialogues car c'est là tout le message du film : comment communiquons-nous ? Cela passe aussi par une critique des médias, que ce soit la télévision ou internet, qui ne sont pas des moyens d'information mais de persuasion qui ne servent qu'à exciter les masses. Villeneuve pose ainsi la question : à qui donnons-nous la parole ? Car le verbe est puissant, comme le dit le personnage de Jeremy Renner lorsqu'il rencontre Louise : le langage est une arme. Au final, ce sont les deux qui ont raison : le fondement d'une civilisation c'est à la fois la langue et la science. Pour comprendre le monde il faut d'abord pouvoir se comprendre mutuellement.
D'un film qui aurait très bien pu n'être qu'un blockbuster sans cervelle, Villeneuve fait un film d'auteur humaniste aux effets spéciaux aussi discrets que réussis. Parlons technique, du coup. Villeneuve est d'autant plus énervant qu'il manie parfaitement les outils mis à sa disposition. Des images puissantes (le vaisseau en lévitation au-dessus de la brume), des petits plans-séquences appréciables (Louise qui retourne à sa voiture, choquée par la nouvelle de l'arrivée des intrus), le canadien maîtrise le cadrage et le prouve. J'ai également bien apprécié les plans panoramiques descendants qui se répondent tout au long du film. La musique est exemplaire. Jóhann Jóhannsson livre une partition quasi-expérimentale dont on se demande souvent si elle est intra ou extra-diégétique. Elle renforce encore plus la pression ambiante dont sont victimes les personnages. Quelle bonne idée également de composer une musique avec des paroles monosyllabiques dans un film sur l'apprentissage d'une langue. Les acteurs sont tous très convaincants et savent s'effacer derrière leur personnages, la faute à une écriture très soignée. Le montage est aussi très important, arrivant à jongler aisément entre deux temporalités sans perdre le spectateur. C'est un film d'une beauté aérienne, presque irréelle empruntant certes un peu d'imagerie Malickienne mais avec parcimonie. Je trouve de plus l'idée de se "souvenir du futur" très poétique, comme si le temps était liquide et que Louise nageait entre deux eaux.
Au final, pour le féru de SF que je suis, ce film c'est du pain béni. Du début à la fin j'étais sur le cul et beaucoup trop pris dans le film. Dès les premières scènes j'ai été bluffé par l'intelligence de Villeneuve qui retarde au maximum l'apparition des vaisseaux et des aliens pour se concentrer sur les réactions humaines. Et puis il faut aussi lui donner du crédit pour avoir réussi à faire une scène super intense alors qu'on ne comprend rien à ce qui se dit à l'écran (je parle bien évidemment de la scène où Louise appelle le général). Le twist m'a pris par surprise et prouve encore une fois l'intelligence du canadien quant à la puissance de son médium. Il joue avec le spectateur car il sait qu'il croit à ce qui lui est montré. Les images se répondent, les scènes de début et de fin sont liés comme dans un grand palindrome d'images (putain c'est génial c'est raccord avec le message du film bordel). C'est tout ce que j'aime : ça claque visuellement et ça pose des questions intéressantes, et surtout c'est de la bonne SF. Oserai-je dire chef d'oeuvre? En tout cas c'est sans aucun doute l'un des films de l'année pour moi.
(Du coup je suis vachement confiant pour Blade Runner 2049)
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Films vus au ciné, Cinéphagie : Décembre 2016, Les meilleurs films de 2016, Les films préférés de Gaspar Noé et Les meilleurs films des années 2010
Créée
le 22 déc. 2016
Critique lue 348 fois
4 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur Premier Contact
Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...
Par
le 10 déc. 2016
260 j'aime
19
La science-fiction est avant tout affaire de promesse : c’est un élan vers l’ailleurs, vers l’au-delà de ce que les limites de notre connaissance actuelle nous impose. Lorsqu’un auteur s’empare du...
le 10 déc. 2016
195 j'aime
16
Bon, bon, bon. Faut que je réémerge d'une apnée boulot déraisonnable, rien que le temps d'un petit commentaire... parce que c'est que je l'ai attendu, celui-ci. Et fichtre, je suis tout déçu ...
Par
le 7 déc. 2016
153 j'aime
61
Du même critique
Cher Ridley, Il fut un temps où j'avais beaucoup de respect pour toi, notamment après avoir pleuré des larmes de sang en regardant Blade Runner, qui reste et restera un des meilleurs films de SF de...
le 11 mai 2017
13 j'aime
9
Le film n'a même pas encore commencé que l'ambiance s’installe déjà. La musique anxiogène d'Ennio Morricone commence à guider l'inconscient du spectateur. Le travail de Morricone est d'ailleurs...
le 3 avr. 2016
13 j'aime
2
Avouer qu'on est fan de foot sur SensCritique, site dédié à la culture, c'est plutôt mal vu. Pourtant on peut être un amateur du beau jeu sans pour autant être un gros beauf. Tout ça pour dire que si...
le 1 sept. 2015
13 j'aime
6