Ayant relu récemment Ted Chiang, et son recueil de nouvelles dans lequel on trouve "Histoire de ta vie", ça m'a donné envie de revoir le film.

Ted Chiang n'est pas un auteur facile à lire. Ces nouvelles peuvent fasciner ou rebuter, au choix... Chiang écrit de la SF, mais on pourrait ajouter, de la SF dure (comme certaines sciences). De la vraie science, ce qui rend les sujets parfois complexes, et pas toujours très glamour ou simplement excitants. Philosophie, linguistique, théologie, mathématiques... Chiang est un érudit, dans le sens le plus noble du terme, mais il n'écrit pas une SF d'aventure. Ses oeuvres sont très contemplatives, très réflexives ; voire même un peu chiante... Mais cela dit, il a remporté les plus prestigieux prix du genre (Nebula, Hugo...).


C'est tout d'abord un scénariste, Eric Heisserer, qui va deviner le potentiel cinématographique de cette œuvre, pourtant largement métaphysique. Il va en écrire un scénario qu'il va proposer à 21 Laps, jeune studio de prod', en contact avec Denis Villeneuve qui sortait du succès critique d'Incendies. Le studio va lui donner carte blanche, et loin des films de SF habituels, Villeneuve va transposer un récit proche du huis clos en objet filmé qui surprend par son intelligence et déroute rapidement le spectateur (à l'image de la scène d'entrée dans le vaisseau). Mais il va falloir créer un langage visuel (l'heptapode B), absent de la nouvelle. Et franchement, c'est une trouvaille de génie. Ca donne un aspect visuel étrange et mystérieux au film. Ce n'est pas la première fois que la SF tente de s'emparer de la linguistique comme centre du récit (Babel 17, Les langages de Pao, La horde du Contrevent...), mais cela n'a jamais été tenté en film. Rien que pour cela, Premier contact est une réussite.


Mais du récit original, et de sa clef de voute (le cadeau fait à Louise), le scénario va s'en aller dans une dimension là aussi absente de la nouvelle, une histoire d'amour entre Louise et Ian. Mais là encore, le récit ne sera pas linéaire et convenu. Cette attirance de Ian pour Louise repose sur l'admiration et le respect du premier pour la seconde. Les sciences dures s'effacent devant les sciences sociales... La métaphore est jolie, même si on comprend vite que le bonheur ne sera que fugitif. Quel avenir aurait été le leur si lui aussi avait reçu le même don ?... Louise va d'ailleurs le questionner sur ce sujet à la fin du film. Bercé par la musique lancinante de Johann Johannson, cette romance à peine esquissée touche au plus intime, principalement par sa douceur (qui se transformera plus tard...).


Et puis bien sûr, il y a le cœur du récit, les étranges visions de Louise qu'elle ne sait pas à quoi rattacher. Il faudra l'incapacité à comprendre le cœur du message des heptapodes, pour faire le lien entre ce qu'elle ressent et ce qu'ils veulent dire. Le génie du scénario est d'ailleurs de nous expliquer avec une pédagogie rare et bienvenue (l'appel au général Shang), comment cette altération du temps fonctionne. Et là on plonge vraiment dans l'univers de Villeneuve.


Revoir un film aussi délicat (le seul autre film auquel je peux le comparer serait Monster de Gareth Edwards), sans que la musique vienne vous perforer les oreilles (gros défaut des films de Villeneuve aujourd'hui), et que l'on sorte de cette histoire complexe en ayant tout compris, donne un sentiment de satisfaction. Premier contact est une réussite, à revoir absolument. Son casting est parfait (Jeremy Renner est d'une sobriété qui met en valeur le jeu d'Amy Adams), sa photographie sombre mais belle, alterne entre nature et espaces technologiques, son ambiance avec fond de panique mondiale et militaires paranoïaques réussie... Si on regarde bien, on trouvera une petite absence de moyens, certaines scènes sont suggérées sur le visage des acteurs, mais ça fonctionne, c'est le principal. Et puis la façon de présenter les aliens, loin du genre habituel (là encore comme dans Monsters), est surprenante d'inventivité (esquissée dans la nouvelle). Leurs vaisseaux sont aussi une pure trouvaille visuelle. Là encore, le film se démarque de ce qui se fait habituellement. A plus d'un titre, ce film est une réussite qui surprend même à la relecture. Sûrement le meilleur film de Denis Villeneuve...


Kerven
9
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le 18 janv. 2025

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Kerven

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