[Article contenant des spoils]
Sait-on suffisamment que Carol Reed était, après guerre, le cinéaste britannique le plus en vue, Hitchcock ayant émigré aux Etats-Unis ? Estime amplement méritée au vu de ce "Fallen Idol de très bonne facture.
Le pitch : un enfant, Philippe, va découvrir le monde des adultes, fait de mensonges et de tromperie, à travers l'adultère de son idole, Baines, le majordome de l'ambassade. Reed a voulu nous montrer le point de vue de Philippe, d'où les fréquentes contre-plongées, les plans à hauteur d'enfant, qui concourent grandement à la réussite plastique du film. La caméra subjective va jusqu'à cadrer de travers, effet que Reed emploiera aussi dans son plus connu "Troisième homme", avec Orson Welles dont on sent peut-être l'influence dans l'originalité des plans.
Il y a aussi ce décor somptueux, avec son carrelage en damier, ses grands escaliers, ses larges fenêtres, ses recoins : l'ambassade, où va se dérouler le drame. Un décor qui évoque les châteaux des contes, tout comme le personnage de la femme de Baines, la marâtre type, effrayante lorsqu'elle va trouver Philippe dans son lit, grâce à un plan en contre-plongée.
Vaste demeure qui se révèle aussi bien terrain de jeu que lieu de terreur, comme lors de cette ébouriffante partie de cache-cache qui joue sur l'ambiguïté des deux. Et le petit serpent, "Mc Gregor" avec lequel Philippe joue, ne symbolise-t-il pas le péché originel, c'est-à-dire l'adultère que Baines s'apprête à consommer ? La femme de Baines s'en débarrassera en le jetant à la poubelle, comme pour prévenir le mal à venir...
Philippe, tout en réalisant son apprentissage, joue les trouble-fêtes vis-à-vis des deux amants. L'empêcheur de tromper en rond : ainsi Baines et Julie sont-ils contraints de parler en langage codé dans le bar, puis doivent retenir leurs étreintes au zoo (l'animalité qui les tenaille reste en cage). C'est toujours Philippe qui les trahira involontairement, d'abord auprès de la femme de Baines, ensuite auprès des enquêteurs (l'avion en papier, l'interrogatoire). Sa naïveté, que l'on peut aussi nommer pureté, gêne les adultes dans leurs magouilles, et c'est en vain qu'il harcèlera les enquêteurs, à la fin du film, pour être entendu : on ne veut tout simplement pas l'entendre. De même, c'est en voulant imiter l'enfant que la femme de Baines causera sa perte. Oui, deux mondes clos, étanches l'un à l'autre. Philippe tentera de s'en échapper, dans une très belle scène où il court pieds nus en pyjama sur les pavés humides d'un Londres obscur et inquiétant. En vain : les policiers le ramèneront au château, un château hanté par de nouveaux fantômes : ceux du mensonge et de la trahison.
7,5