Le film commence et surgit Sandrine Bonnaire en train de travailler comme ouvrière du textile ( opératrice de couture ) dans une usine de textile à Villefranche sur Saone . Elle accomplit des actes machinaux et surgissent des tissus très colorés. En même temps, dans notre imaginaire de spectateur, nous voyons se réinscrire la comédienne dans une réalité sociale évidente, voire dans une vérité. Depuis près de 15 ans, elle représentait, sans qu’elle n’en soit nullement responsable, une représentation d’un cinéma bourgeois et purement narratif : elle ne peut que choisir que parmi ce qu’il lui est proposé.
Gaël Morel lui écrit un rôle d’une vraie femme de son âge, reliée aux héroïnes de Pialat, Varda, Rivette ( Jeanne d’Arc) , Chabrol ( La Cérémonie ) , Téchiné et puis le miracle survient .
Nous sommes prêts à la suivre dans un acte irrationnel, un reclassement, après délocalisation dans un atelier de textile à Tanger. Elle ne veut pas renoncer à son emploi, elle se rend compte que son fils a sa propre vie à Paris et qu’elle n’a plus aucune attache.
Elle se sent libre pour partir et s’installer au Maroc. Autant la partie française est éteinte en terme de lumière, le soleil marocain , la mer Méditerranée nous éblouissent.
Nous accompagnons le personnage d’Edith (Sandrine Bonnaire) dans sa nouvelle vie. La pension, le cadre d’une ville frontière , pauvre , dangereuse , un travail dans un atelier avec des conditions de travail des années 50 et pourtant , elle y croit . Cette femme fatiguée retrouve une force de vie et parvient à se déployer même dans un contexte difficile.
Comme je ne souhaite pas dévoiler les péripéties émaillant le film, Edith, têtue, battante, vaillante, va se heurter à la confrontation d’une autre culture ,d' une autre organisation de vie et de travail sans sourciller . Elle devient une aventurière des temps modernes.
Gaël Morel arrive à donner une dimension socio-économique, à traduire très subtilement sans didactisme aucun , la disparition du modèle ouvrier progressiste version syndicat au profit du retour à une organisation du travail archaïque avec des conditions et des codes inconnus pour nous et Edith.
Tandis que je regardais ce film qui est à la fois une chronique sociale , une quête d’identité et un conte moral , je perçois Edith ( Sandrine Bonnaire a une telle limpidité , une force d’incarnation) comme une figure solaire par son courage et sa vitalité qui va influer sur la mère et le fils (qui tiennent la pension où elle réside) comme un élément déclenchant .
J’ai pensé à ce moment là à Rossellini et surtout à Europe 51 (vu il y a plus de 30 ans ) où Ingrid Bergman, grande bourgeoise, après le décès accidentel de son fils, se réparait en aidant les pauvres en produisant des vraies situations de partage humain .
Gaël Morel a cette même simplicité, évidence, qu’il produit sans aucun volontarisme un film monde sur les relations Nord – Sud, sur la disparition programmée de la classe ouvrière en France et sur la perte de repères , en montrant des situations sans produire aucun jugement .Il arrive à aborder la relation mère- fils :( Edith/Jeremy – la Directrice/ Ali ) avec finesse et émotion , sans pathos.
De plus, tous les personnages du film ont une vraie complexité, ce qui est très rare dans notre cinéma français , mise à part chez André Téchiné et quelques grands cinéastes.
Enfin, le regard porté, à juste distance, a permis à Sandrine Bonnaire de nous livrer une composition si juste humainement, sans aucun artifice, et de produire chez le spectateur une émotion sourde.