Un film de fantôme réalisé par Steven Soderbergh ne pouvait ressembler à aucun autre et la perspective choisie ici pour nous plonger dans l'histoire de ce "Presence" est évidemment le plus grand gage de sa singularité.
Non pas que nous faire vivre un long-métrage par le point de vue de l'esprit d'un mort ayant décidé de s'accrocher mordicus au monde des vivants soit une donne totalement inédite en soi (du magnifique "A Ghost Story" à l'épatant et méconnu "I Am A Ghost", cela a très souvent inspiré de véritables OFNIs pouvant tout aussi bien tenir du cinéma expérimental que de la traduction poétique la plus pure) mais nous faire vivre un film à travers littéralement le regard d'un fantôme posé sur ses compagnons humains plus ou moins inconscients de sa présence est une aventure qui ne pouvait qu'attirer un grand nom comme Soderbergh, décidément toujours avide de se frotter à des concepts audacieux de mise en scène.
Et il lui suffit de quelques minutes introductives, nous installant avec maestria dans les yeux de sa "Presence" prise au piège d'une maison -pour l'instant- vide, se déplaçant de pièce en pièce comme un insecte fou en vase-clos, pour démontrer qu'il a une fois de plus parfaitement saisi la force d'une telle idée afin de nous faire tourbillonner au sein de la "cage" de ce fantôme avec une fluidité visuelle sans pareille.
Vient ensuite l'emménagement de la famille héroïne, dont nous découvrons des instants de vie pris au hasard de leur quotidien, au gré des apparitions non maîtrisées de leur observateur invisible. Là où, dehors, ses membres dégagent sans doute les apparences d'une famille unie, typiques d'une "American Way of Life" de banlieue moderne, les yeux du fantôme, qui sont devenus celui d'un spectateur voyeuriste, vont nous faire découvrir dans l'intimité de leurs murs une cohabitation entre êtres brisés et d'autres aspirés par leurs ambitions aussi égoïstes que superficielles. Se maintenant encore grâce à quelques liens plus forts que d'autres (celui entre la fille et le père est extrêmement touchant), la vie de ce collectif aux contours désormais illusoires d'une famille, tableau pessimiste et minimaliste d'une société n'arrivant même plus à trouver un semblant de bonheur sur ses fondations les plus rudimentaires, va bien sûr se voir bousculée par cette "Presence" en empathie avec l'adolescente des lieux.
Si l'on n'aura rien à reprocher au parti pris de Soderbergh, transcendant complètement le récit de bout en bout (jusqu'à son épilogue qui n'aurait clairement pas eu le même impact émotionnel sans cette réalisation), on sera un brin plus mitigé sur le scénario de David Koepp pour le servir. Donnant parfois même le sentiment d'être trop "écrit" lors de certains échanges (heureusement que les comédiens sont là pour y apporter un vrai supplément d'âme), il faut bien dire que, dépouillé de la mise en scène de Soderbergh, "Présence" ne serait pas grand chose, peut-être juste un simple thriller domestique imaginé par un scénariste resté coincé au début des années 2000 (et de sa gloire passée), et ce malgré cette réelle envie de faire craqueler le vernis de l'image d'Épinal de la famille américaine par ce prisme et la rendre aveugle sur les serpents qui ne demandent qu'à se nourrir de ses défaillances.
De "Presence", on retiendra donc surtout la présence talentueuse de Steven Soderbergh, un cinéaste qui ne cesse de chercher à se renouveler jusqu'à unir ici brillamment notre perception de spectateur en pleine découverte à celle d'un être omniscient mais perdu, se raccrochant à chaque bribe que ses manifestations aléatoires lui livrent pour y trouver un sens. Et, même s'il fait moins parler que d'autres avec les années qui passent, la présence de Soderbergh parmi les plus grands de sa génération est incontestable. Un peu dommage que celle de David Koepp parmi ses pairs scénaristes, elle, ne soit plus ce qu'elle était.