Le titre, qui signifie « Avant la révolution » est d’une importance capitale, puisque Bertolucci place son film sous le signe d’une citation de Talleyrand « Celui qui n’a pas vécu au XVIIIème siècle avant la Révolution ne connaît pas la douceur de vivre et ne peut imaginer ce qu’il y a de bonheur dans la vie. »


Pour son deuxième film, Bernardo Bertolucci met en scène le jeune Fabrizio (Francesco Barilli) en lui donnant bien des aspects de sa propre personnalité. En quelque sorte, le réalisateur fait de ce film son manifeste. Ce n’est pas le manifeste du parti communiste mais on y pense forcément, car c’est de ce côté que Fabrizio dit vouloir s’engager. Et, pour être en accord avec lui-même, il a décidé de rompre avec sa promise depuis l’enfance, la douce Clelia (Cristina Pariset), jeune blonde au visage de madone. Évidemment pour lui c’est un crève-cœur, car Clelia est sublime comme une vierge de Parmiggiano, le peintre. Nous sommes à Parme et c’est dans une église que Fabrizio vient observer Clelia à la dérobée. Pourquoi la quitter ? Parce que Clelia est une pure représentante d’une classe contre laquelle il s’engage : la bourgeoisie. Ceci dit, Fabrizio en est issu et cela se sent par ses vêtements, son aisance naturelle, sa façon de parler et ses connaissances en matière artistique. Fabrizio étant le double de Bertolucci, on ne s’étonne pas de le voir discuter de cinéma. Outre une estime évidente pour le classicisme façon Howard Hawks, il affiche son admiration pour Jean-Luc Godard et son égérie Anna Karina (Une femme est une femme – 1961). La vision du film un demi-siècle après sa sortie (1964) met en évidence une dimension prémonitoire. Car si Bertolucci s’est engagé par ce film, quel est le bilan de la révolution qu’il souhaitait (à l’image de Fabrizio) ? Le communisme a montré ses limites, mais il fallait probablement en passer par là pour tenter d’oublier le fascisme. Quant à la révolution artistique que ce film suggère, on pouvait en attendre davantage. Pourtant, tout dans ce film d’une élégance suprême montre que Bertolucci pouvait rêver.


Fabrizio souhaite la révolution prolétarienne et affirme qu’en côtoyant la bourgeoisie il occupe une position privilégiée pour agir de l’intérieur. Mais, la compréhension des mécanismes sociétaux (et des valeurs bourgeoises) peut-elle suffire pour convaincre le prolétariat de le suivre ?


D’ailleurs, même si le film illustre de bout en bout la citation de Talleyrand (justification, excuse), il se passe presque exclusivement dans ce milieu de la bourgeoisie. N’est-ce pas une certaine facilité pour quelqu’un qui souhaite la révolution ? On sent qu’il est difficile d’abandonner certains privilèges. Se détournant de Clelia, c’est bien vers une autre bourgeoise que Fabrizio se tourne. Gina (Adriana Asti), charmante et élégante brune légèrement plus vieille que lui n’est autre que sa tante, véritable provocation vis-à-vis des valeurs catholiques. C’est en sa compagnie qu’il promène son questionnement existentiel (largement supportable), dans la très belle ville de Parme (et environs). C’est avec elle qu’il devient un homme comme elle dit.


Le film a pour lui sa beauté plastique (très beau noir et blanc), son élégance cinématographique (à la hauteur d’un discours évoquant la morale d’un travelling), ses interprètes jeunes, séduisants et fascinants (le sourire et le regard de Gina, le visage de Fabrizio) ainsi qu’une BO cosignée Ennio Morricone et Gino Paoli. Avec talent Bertolucci captive et fascine du début à la fin. En accord avec son titre, il montre que le meilleur de la vie ce sont les promesses, qu’elles soient intellectuelles ou sentimentales et même individuelles ou collectives. Comme la beauté ne peut que se faner, avec le temps les plus beaux espoirs risquent de se ternir. Avec le recul, on peut donc dire que Bertolucci est ici remarquable, en suggérant que la réalité de la vie le rattrapera comme elle rattrape son personnage, Fabrizio étant inspiré du personnage de Fabrice del Dongo (La Chartreuse de ParmeStendhal).


Constamment tiraillé entre ses aspirations idéalistes et son éducation, Fabrizio est confronté au doute, notamment avec la noyade du jeune Agostino. Qu’en retenir sinon que ce qui compte c’est la vie, comme le montrent les réactions des garçons qui lui annoncent le drame. Autre illustration de ce constat, la fin est sublime. La représentation à l’opéra est un condensé de la vie remarquablement mis en scène, avec toutes les relations auxquelles nul ne peut échapper. Fabrizio sait bien que toute histoire avec sa tante est impossible, même s’il entre dans son jeu de faux-semblants pour avoir le droit, encore un peu, de la serrer dans ses bras. A-t-il réellement le choix ou bien son destin est-il déjà écrit ? C’est vertigineux car, si le destin de Fabrizio est écrit (par qui sinon par Bertolucci), celui de son réalisateur l’est forcément aussi.


Pour la reconnaissance publique et la notoriété, Bertolucci attendra Le dernier tango à Paris (1972), mais Prima della rivoluzione restera assurément dans l’histoire du septième art.

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le 21 mars 2015

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