"Des amis de Job voulant récompenser les bons et punir les méchants, aux chercheurs des années 30 prouvant avec horreur que tout ne peut être prouvé, l’homme a cherché à ordonner l’univers. Mais il a fait une surprenante découverte : il y a bien un ordre régissant l’univers, mais ce n’est pas du tout ce qu’il imaginait."
Sans doute est-ce grâce à ce postulat, parfaitement tenu par Carpenter, que Prince des Ténèbres ne perdra jamais de son pouvoir de fascination. La bataille du bien contre le mal traverse le cinéma d'horreur depuis toujours : avant que les Conjuringeries ne la réduise en spectacle outrancier et surtout moraliste, des œuvres aussi importantes que L'Exorciste, La Malédiction ou Rosemary's Baby s'y sont attaqués avec pertinence. Cependant, Carpenter est sans doute celui qui a été le plus loin : chez lui, la bataille n'est pas imminente mais le Diable a gagné depuis longtemps, d'une victoire si écrasante que les règles sont désormais biaisées. L'Église qui prétend le combattre ne fait jamais que l'encenser, et les scientifiques qui s'opposent aux anciens mythes le renforcent plus encore. Ainsi Big John réunit-il mystiques et rationalistes dans un espace restreint pour abattre leurs croyances une à une, réduisant ceux qui refusent la remise en question en zombies ou en illuminés sanguinaires : ici, l'espoir aveugle et la foi dévote ouvrent la voie au mal et précipitent la fin. Plus nihiliste que jamais, Carpenter n'en reste pas moins frondeur et invite à reprendre le combat non pas en se référant à quelque dogme, conviction ou gourou, mais en s'affirmant en tant qu'individu et donc en tant qu'humain pour obtenir la victoire, aussi amère soit-elle en ces temps troublés.
John Carpenter, cinéaste effrayé par l'indifférenciation (The Thing ne parle au fond que de cela) et ulcéré par les bergers de tous bords, signait avec Prince des Ténèbres l'un des fleurons de sa filmographie.