Pour réussir un bon plan, on a toujours besoin d'une brouette.
Quand Rob Reiner ne passait pas ses journées à coller des images cradingues au dos des paquets de clopes, et bien avant qu'il ne se décide à tuer l'ennui en emmerdant une bande de braves gosses dans le Colorado, il lui arrivait de faire des films. De bons films. Il lui arrivait même de lire des bouquins. Si si, je vous assure.
Le 25 septembre 1987, le mirifique - j'assume - "Princess Bride", adaptation du non moins surprenant roman éponyme de William Goldman, également abrégé du manuscrit d'un certain S. Morgenstern - et on s'en tiendra là - voit le jour dans les salles obscures américaines. Ce jour-là, notre cher Tonton national inaugurait la première ligne de métro du Caire en compagnie de son comparse Moubarak, cette même année où l'inénarrable Rick Astley donnait ses lettres de noblesse à la Pop Music en sortant de derrière les fagots son tube "Never gonna give you up". La chose semble inconcevable, mais il faut croire que l'ex-Président égyptien a fait de ce cantique populaire un hymne tout à fait personnel jusqu'à février dernier où, évidemment, l'un de ses conseillers lui a expliqué le concept. Vingt-quatre ans de Rickroll, c'est dur.
Il n'empêche : ce "Princess Bride" est une merveille, un bijou de construction narrative, un chef-d'oeuvre de cynisme et de second degré. Un putain de film intelligent comme on n'en fait plus, sous sa parure de "production bon marché pour gosses peu sourcilleux", qu'on se le dise.
Le projet n'était pourtant pas gagné d'avance. Jugez plutôt : en 1973, Goldman envoie son manuscrit à Reiner-père, Carl de son prénom, mais c'est finalement le fils, amoureux de l'ouvrage, qui accepte l'adaptation sur grand écran. Il est quand même peu banal de réclamer le paternel, et d'obtenir les services de sa progéniture. Je ne suis pas sûr que l'on voie toujours la chose d'un très bon oeil, voyez-vous. Tenez, prenez ce bon vieux Moubarak. Imaginons que, alors qu'il inaugure ce foutu métro, il prenne conscience d'une probable Rickrollitude latente. Une bonne psychanalyse serait de bon ton. Tonton, tout bonhomme qu'il est, lui suggère de faire appel aux services d'une compatriote, Françoise Dolto. Quinze ans plus tard, on lui envoie Carlos...
La collaboration Rob Reiner - William Goldman sera toutefois fructueuse et fera des miracles (Max, haha) ! La vision éhontée de Reiner, sa façon habile de bousculer les codes, de jouer astucieusement avec les règles et les clichés du conte de fée - un genre pas Rock'n'Roll pour un sou - et des dialogues ubuesques au possible servent un récit magistralement bien ficelé.
Pourtant, rappelons-le, Princess Bride n'est jamais qu'un récit de capes et d'épées on ne peut plus banal. Il n'est jamais question que de princesse, de valet, de duels à l'épée, de poison, d'amour, de haine, de géant, de chasseurs, de gentils et de méchants.
Les scènes deviennent cultes.
La fameuse réplique d'Inigo Montoya - "¡ Buenos dias ! You killed my father, prepare to die !" - fait fureur dans les cours de récré. Il paraît même qu'elle a créé des vocations. Victime de son succès, ce leitmotiv est même devenu un Meme (sic).
Impossible, par ailleurs, d'omettre le si plaisant "duel de l'esprit" opposant Vizzini (Wallace Shawn) à Westley (Cary Elwes), tant le discours de cette joute verbale et mortelle est grandiloquent, et son dénouement... simple et efficace. Fait amusant, pour les plus attentifs : être immunisé à l'iocane n'empêchera pas Cary Elwes de se trancher la jambe à coups de scie à métaux, près de quinze ans plus tard, avec un certain succès commercial, d'ailleurs.
Princess Bride n'est pas parfait. Je vais être de bonne foi : Princess Bride n'a qu'un défaut majeur : la bande son. La bande son, c'est Mark Knopfler. Le Mark Knopfler de Dire Straits, le mec le moins Rock'n'Roll du Rock'n'Roll. Faute de goût sans doute annonciatrice du déclin de Reiner. On attendait quelque chose de moins complaisant de la part de l'auteur de "Spinal Tap". Impardonnable.
Princess Bride n'est pas parfait, mais j'aime Princess Bride. Je l'aime comme on peut aimer une vieille copine. Princess Bride est un peu cheap, ses décors sont en carton, ses goûts musicaux douteux, et plus les années passent, plus il se ringardise.
Puis-je pour autant m'en passer ? C'est inconcevable.
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