Je viens tout juste d'avoir mon diplôme tant convoité du baccalauréat, et les vacances commencent à peine. Perspectives réjouissantes pour n'importe quel jeune adulte, mais moi mon plan pour la soirée c'est glander chez mes parents avec un taux de probabilité de passer un moment intéressant frôlant le zéro absolu. En désespoir de cause je m'empare du programme télé (et ouais c'est vieux tout ça) et je fait le point sur mes options. Je ne saurais dire ce qu'il y'avait, mais mon attention s'est portée sur un dessin-animé diffusé par Arte. WTF! Depuis quand Arte passe des dessin-animés? Ils appellent ça un "film d'animation" mais ça reste un putain de dessin-animé, non? L'engin non identifié s'appelle Princesse Mononoké. C'est réalisé par un chinetock au doux nom de Hayao Miyazaki. Bon OK, il est pas chinetock il est japonais, mais j'en ai rien à cirer. La critique du programme télé est dithyrambique, dans ma courte carrière de cinéphile ce programme ne m'a jamais déçu. Après tout il avait mis quatre étoiles à Casablanca et c'était un super film. En plus je veux faire honneur à mes tout nouveaux principes d'ouverture d'esprit, de tolérance et d'optimisme naïf concernant la race humaine. Alors va pour Princesse machin. Il est 20h50, je m'affale sur mon lit et je regarde d'un œil vide la télévision en attendant le prime.
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Il est approximativement 23h10 et je prend la pose, bouche béante, tel un crocodile en plein soleil. Que vient-il de se passer? Je ne saurais trop le dire. J'essaie de faire le tri dans ma mémoire immédiate mais il s'est passé beaucoup de choses en deux heures. Je crois que la première chose qui me choque c'est que jamais je n'ai ressenti autant de compassion pour les "méchants". Serais-je devenu un gros enfoiré avec l'âge? C'est possible, d'autant que jamais les "gentils" ne m'avaient autant dégouté. Oui, je suis bien un fils de pute. Ou alors non. Cette dualité entre le bien et le mal est par trop simpliste. Le monde n'est pas comme ça. En fait je suis devenu lucide avec l'âge. Ou plutôt je suis devenu lucide avec ce film. Et quel beauté visuelle! Je n'avais jamais vu une telle esthétique, mis à part dans les films de Tim Burton. Tant d'image magnifique que je veux à tout prix imprimer dans ma mémoire. Un sanglier furieux infecté par un mal étrange, surréaliste, horrible, et beau en même temps. Une louve blanche gigantesque et ses deux louveteaux agiles, suppléant la protectrice de la forêt, mystérieuse et sauvage. Des corps en sueurs trimant sous la chaleur des hauts-fourneaux, et cette cadence industriel rythmée par le soufflet attisant les braises. Des scènes de batailles qui n'ont rien à envier à celle du Seigneur des Anneaux, et ses cris stridents des sangliers mortellement blessés. Et surtout cette scène. Vous voyez de laquelle je parle? Un ruisseau s'écoulant paisiblement dans une forêt silencieuse. La grande louve blessée. Et Mononoké aspirant le mal de cette blessure comme on aspire le venin mortel d'un insecte. Le jeune héros qui épie cette scène de loin, caché derrière un buisson craintif. Il est repéré par l'instinct animal de la louve. Mononoké se retourne brusquement. Cet échange de regard. Le garçon saisi d'effroi devant le visage maculé de sang de la jeune fille. L'expression de haine de la jeune fille causée par cette intimité violée. Une des plus belles scènes de l'histoire du cinéma, je l'affirme sans réserve.
Combien de temps suis-je resté perdu dans ces pensées? Pas longtemps en fait. J'entend parvenir une annonce. La semaine prochaine Arte diffuse Porco Rosso, second volet du cycle consacré à ce génie nippon. Finalement l'été s'annonce bien. Contre toutes les statistiques j'ai passé une super soirée. Je trépigne d'impatience en attendant les aventures du cochon pilote d'aéroplane. Et plus jamais, au grand jamais, je ne traiterais un japonais de chinetock.