Il y a vingt ans exactement, en mars 2000, j'emmenais mes deux (premiers) enfants au Gaumont Champs Elysées voir "Princesse Mononoké", pour ce qui fut je crois notre première séance familiale d'un film de Miyazaki. Deux heures quinze plus tard, nous en sortions transportés, et sans doute un peu transformés. D'une part, il y avait cette découverte éblouie d'une forme stupéfiante, que les autres films du grand maître de l'animation allaient prolonger, confirmer... Mais il y avait aussi toutes ces questions posées, tant sur notre place sur Terre - et les vingt ans qui suivirent confirmèrent de manière terrible les intuitions apocalyptiques de Miyazaki - que sur la manière de raconter une historie complexe, sans utiliser aucun des ressorts habituels de la fiction "à l'occidentale", et surtout sans manichéisme ni simplification.
Vingt ans après, "Princesse Mononoké" reste toujours l'oeuvre la plus ambitieuse de Miyazaki, celle qui concentre ses préoccupations les plus profondes : la destruction de l'équilibre écologique par les humains (quelles que soient d'ailleurs leurs raisons pour cela, et Miyazaki admet qu'il peut y en avoir de bonnes, et ne prétend jamais que la Nature soit un paradis), la cruauté de la guerre que s'infligent régulièrement les hommes avides de pouvoir et de richesses, aussi futiles soient-elles, et surtout sans doute, la place de la femme au centre de la communauté humaine (les formidables ouvrières, ex-filles de joie, ouvrières et gardiennes des forges) comme du fonctionnement de tout "système", qu'il soit social, politique (l'impressionnante chef des forges) voire même planétaire.
Bien sûr, le prix de la complexité et de l’ambiguïté de la vision du Maître est que le spectateur pourra çà et là se sentir épuisé par les nombreux renversements de situation, d'alliance entre les protagonistes, mais également dérouté par le dédale de mythes d'un univers culturel qui nous reste largement étranger. Mais, parce qu'il dépasse largement le cadre de "l'histoire"racontée par son scénario pour nous plonger dans la "Légende", Miyazaki fait ici véritablement oeuvre de transcendance.
Il est encore plus impossible en 2020 de ne pas souscrire pleinement à cette générosité foisonnante du vieux maître, impossible aussi de ne pas se laisser emporter par la vigueur de cette épopée furieuse, aussi asphyxiante de beauté qu'excitante.
[Critique ré-écrite en 2020, à partie de notes prise en 2000, 2001 et 2007]