Mononoke Hime raconte l'histoire d'une schizophrénie, ou plutôt de trois schizophrénies, celles des trois personnages principaux : Ashitaka, San, et la forêt. Chacun cache en lui une double personnalité, et si celles de San et d'Ashitaka sont volontairement mises en scènes par Hayao Miyazaki, je crains qu'il n'en aille pas de même pour celle de la forêt...
San, la fille-loup, est la première : elle est humaine, mais se veut louve. Il lui faudra bien sûr faire son choix entre les deux -qu'elle fera finalement, belle audace de Miyazaki en ne réunissant finalement pas le prince et la princesse #pokewaltdisney-, tandis qu'Ashitaka, lui, est confronté à un deuxième côté de lui-même qu'il ne contrôle pas : sa nature humaine, évidemment symbolisée par sa marque démoniaque, est scindée en deux parties. Lui, Ashitaka, prince valeureux et noble, et lui Ashitaka, cédant aux pulsions de son humanité souillée.
La troisième schizophrénie est celle de la forêt. Et c'est ici que mes interrogations commencent. Car si les deux premières folies avaient été habilement construites par Hayao Miyazaki, il est à craindre que celle-ci ne se soit développée sans l'accord de son créateur.
Si l'on observe cette forêt, que voit-on ? Une nature à deux faces.
La première est celle de la beauté. La forêt, grinçante, sifflante et magique, elle est le plus bel endroit que l'on puisse rêver. Fresque d'une puissance sans égale, le dessin de Miyazaki prend pleienement naissance dans les scènes contemplatives où la forêt, le personnage le plus exigeant du film, prend toute la place, jusqu'à ridiculiser les protagonistes humains...
La seconde face est une violence et une laideur. La nature blessée vomit son flot de démons, tandis que le Dieu-Cerf lui-même, d'entité bienveillante protectrice de la vie, se transforme en monstrueux amalgame de chairs moisies, de poisons et d'acide. Vous me direz que c'est l'idée de Miyazaki : à nature blessée, nature vengeresse, et vous citerez l'exemple de Nausicaä de la Vallée du Vent.
Erreur. C'est là que vous vous trompez, car il n'y avait pas dans Nausicaä de la Vallée du Vent cette schizophrénie de la nature. La Fukai était ainsi : belle, fascinante, et mortelle à la fois. Chacun de ses aspects ne formait qu'une facette d'une seule et même nature, une nature blessée mais prête à pardonner, et à se se sacrifier pour les hommes qui l'avaient si profondément meurtrie. Dans Princesse Mononoké, il n'y a pas une, mais deux natures différentes, sans lien l'une avec l'autre : la forêt luxuriante à la beauté à couper le souffle, et l'univers baveux et répugnant d'un monde de guerre. On passe de l'une à l'autre sans transition autre qu'un flot de sang et quelques bras qui sautent.
La nature a-t-elle perdu son sens ? Ce que lui ont infligé les humains l'ont-il définitivement rendue folle ? Qui sait...à chacun son interprétation du travail de Hayao Miyazaki, mais pour ma part je crois à l'idée d'une œuvre qui lui a échappé, au bout de laquelle la logique d'une forêt guerrière totalement distincte d'une forêt de paix s'est imposée à lui, plus qu'il ne l'a choisie. Cette schizophrénie n'est pas une qualité : elle est une grossièreté pour un réalisateur qui jamais jusqu'alors n'était tombé dans le manichéisme. Ici, la forêt jolie et la forêt méchante ne sont pas les mêmes. La Fukai de Nausicaä rassemblait ces deux facettes et devenait le miroir d'une nature, humaine cette fois ci, capable du meilleur comme du pire. Nous n'aurons pas cela cette fois-ci.
Ajoutons cela au fait que la plupart des personnages sont des reprises des archétypes de Nausicaä de la Vallée du Vent -Eboshi est un clone de Kushana, son acolyte un mauvais Kurotowa privé de cynisme et de mordant-, tandis que les innovations ne se montrent pas à la hauteur -Ashitaka, sale égoïste, comment peut-on te mettre en personnage principal dans ce film alors que tu ne penses qu'a te taper de la sauvageonne ? Dois-je te rappeler que Nausicaä, oui, encore elle, était un messie prêt à se sacrifier pour le monde ?-.
Rien. Rien n'empêchera le film d'être plombé par un protagoniste aussi égoïste que transparent aux super-pouvoirs s'activant à la demande, des animaux d'une laideur stupéfiante et des décapitations et démembrements qui seraient tragiques...s'ils n'étaient pas aussi ridicules. Le grotesque, à mon grand désespoir, frappe fort avec des flèches magiques qui font sauter des bras et des têtes à la chaîne, et que dire des vers grouillants rappelant furieusement l'époque de gloire du hentai tentacle...
Bien sûr, Mononoke Hime reste un film de Hayao Miyazaki : le dessin est comme d'habitude à couper le souffle, la musique de Hisaishi est grandiose, une réflexion habile est menée et certaines scènes -la forêt de nuit...-sont plus que mémorables. Ce qui est d'autant plus rageant qu'esthétiquement, Princesse Mononoké ne fait qu'une bouchée de son aïeul. Les paysages sont magnifiques, et la forêt est le rêve digne de Hayao Miyazaki...mais cela ne fait presque qu'aggraver les choses. Je ne peux pas accepter qu'un film aux scènes d'une beauté aussi émouvante que celle où San nourrit Ashitaka, ou encore la contemplation de la forêt de nuit, puisse en même temps s'accorder des visions aussi repoussantes que celle d'un Dieu-Cerf se transformant en marée de morve noire.
Ne m'en voulez pas de ne pas partager votre amour. Et dites-vous qu'au moment d'écrire cette critique, je me suis juré de porter sur ce film un regard sans haine.