Ce film est probablement le second grand sommet de l'oeuvre prodigieuse du réalisateur japonais Hayao Miyazaki. Contrairement au Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké est ancré dans une réalité plus terre-à-terre, aux confins du Japon médiéval, loin des rêves féériques de la petite Chihiro et se focalise sur une histoire plus grande, plus sanglante, plus tragique, un affrontement entre l'inexorable progrès et la tradition, entre l'homme et la nature, entre l'homme et le divin, entre le bien et le mal.
Ce qui frappe au premier abord c'est la violence de ce dessin animé. Têtes arrachées, mains coupées, morts diverses, batailles prodigieuses au dessin réaliste ; le film oublie presque qu'il est un dessin animé pour finalement aller sur le terrain du monde des adultes. Cependant la violence ici n'a rien de manichéenne. Hormis quelques bandits, aucun des camps qui s'affrontent n'est méchant ou gentil. Les hommes sont terribles, destructeurs, égoistes, mais sont-ils les monstres que décrit Mononoké, une jeune fille élevée par des loups demi-dieux et abandonnée par la communauté des hommes ? Non, pas toujours. La nature elle aussi a son lot de violence : la rage démesurée des sangliers, fiers et prêts à tout pour tuer des hommes, la bétises des orang-outans. Derrière un affrontement binaire, Miyazaki refuse de sombrer dans la facilité dans laquelle la plupart des dessins-animés se vautre.
Ce long métrage, épique et violent, de plus de deux heures est il vraiment un film pour enfant ? Rien n'est moins sûr. Miyazaki a véritablement décloisonné les genres. Le dessin animé, si souvent enfantins est ici un film mûr, aux sujets nobles, aux enjeux recherchés, à l'esthétique lêchée. Il a anoblit le dessin, comme les peintres avant lui et son scénario est davantage une grande fresque épique comme L'Iliade qu'un conte de fée bon enfant.
Et justement la force de Miyazaki, outre son refus du manichéisme, c'est son universalisme. Il n'y a pas plus japonais que Mononoké, un film qui se déroule au moyen-âge japonais, pétri de shinthoisme, de dieux et d'esprits asiatiques, un contexte géopolitique japonais complexe (un empereur, des guerres civiles) mais pour autant un film limpide, évident, universel. Il parle à tous. Son scénario est une quête du héros, une aventure narrativement presque occidentale. Ashitaka, un jeune prince d'un village lointain en protégeant son village d'un sanglier corrompu et maudit se retrouve blessé par ce dernier, une blessure étrange, magique, une malédiction qui peu-à-peu lui dévore la peau. La sorcière du village n'y voit qu'un remède, aller faire acte de bravoure à l'ouest où de terribles évènements se produisent et où il trouvera la solution à tout ses maux. Un scénario classique en apparence, dont la trame narrative est absolument universelle.
Mais Miyazaki, parce qu'il refuse le manichéisme est original, dans le traitement de ses personnages, dans les enjeux, dans les intrigues secondaires. Le héros, maudit, est aussi d'une extrême violence et, quand il est pris de colère, son bras corrompu décapite des têtes et coupe des mains avec une facilité morbide. La femme qu'il rencontre Dame Eboshi pourrait apparaitre comme une tueuse de dieu cupide et une femme violente avec son armée d'arquebusiers. Et pourtant elle est féministe et recueille tous les lépreux rejetés par les sociétés humaines. Elle n'a au fond que des rêves et des buts, comme tout à chacun et ses rêves se heurtent parfois à des réalités terribles.
Mais surtout Myazaki est un poète. Son plan d'ouverture sur des montagnes embrumées, telle la nature qui s'éveille dans une semi-obscurité est sublime et évoque les fabuleuses estampes japonaises. Son inventivité dépasse l'entendement : des petits esprits de la fôret qui dodelinent de la tête, ce Dieu-cerf qui fait pousser des fleurs là où il marche, qui survole l'eau et peut donner la vie ou la reprendre, ces loups fantastiques, ces sangliers géants. Miyazaki est profond dans tout ce qu'il fait. Si le film est moins drôle que d'autres, il comporte des situations cocasses, des détails passionnants - du travail de l'arquebuse et des forges, en passant par la vie de village traditionnelle, des traits d'humour et de belles répliques. Servi par une bande son exceptionnelle composée une fois encore par Joe Hisaishi, le compositeur attitré de Kitano, Miyazaki n'a aucun mal à emporter le spectateur dans son monde fabuleux. Tout ce qu'il entreprend réussit dans ce film. L'animation est fabuleuse, le dessin d'une grande finesse et les paysages sont de véritables peintures, toujours inventives, comme ce lac de forêt où pousse des arbres immenses, demeure du Dieu-cerf.
Le film est un film de sentiment aussi, entre une femme sauvage qui retrouve le contact des hommes et un homme qui devient bestial au contact d'une malédiction divine. Il interroge sur la nature profonde de l'humanité, sur les racines de l'homme, preuve s'il en est de son universalisme et il le fait avec une subtilité et une finesse toute nippone. Le résultat c'est un film épique, époustouflant, aux scènes marquantes et à la dramaturgie efficace qui illustre si bien pour ce qui est de la romance entre Mononoké et le héros Ashitaka la célèbre phrase de Saint-Exupéry : " Si tu m'apprivoises nous aurons besoin l'un de l'autre." Les destinées d'hommes et de femmes extraordinaires aux contacts de dieux extraordinaires.