Princesse Mononoké
8.4
Princesse Mononoké

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1997)

Vu au cinéma au Pathé Gambetta de Grenoble il y a de cela 20 ans pour sa sortie française, Princesse Mononoke fût pour moi le premier grand choc dans le paysage très disneyfiant de l’animation importée. Loin des discours moralisateurs et à l’opposé d’un manichéisme lénifiant prôné par la souris hollywoodienne, Hayao Miyazaki proposait avec son film une vision mature et tout en nuances de la place de l’homme dans la nature. 20 années se sont écoulées. Princesse Mononoke fait partie de ces œuvres qui ont forgé ma culture et mon utopie cinématographique. Visionnage après visionnage, ciné, dvd, Arte, que reste-il de ce film qui a jalonné ma vie d’adulte ?



Porter sur le monde un regard sans haine



Princesse Mononoke ou Mononoke hime dans la langue de Kurosawa est un film au croisement de plusieurs thématiques. Pourtant, dès l’introduction, le personnage principal Ashitaka nous oriente sur la voie du récit initiatique. C’est par le biais de ce jeune homme que Miyazaki va multiplier les points de vue et varier les prismes d’interprétation. Ashitaka est présenté comme un prince, futur dirigeant de sa modeste tribu. Mature, pragmatique, imprégné des croyances de son peuple, respectueux de la nature qui l’entoure, de ses esprits et divinités. Il accepte sans frémir ses responsabilités et n’hésitera pas un seul instant à risquer sa vie pour sauver les siens face à l’assaut furieux du sanglier Nago. Dès l’entame du film, Ashitaka fait preuve d’une forte abnégation qui motivera l’ensemble de ses décisions.


Figure quasi chevaleresque, il sait se montrer courageux dans les combats, avisé dans ses choix et humble dans ses rencontres. Pourtant, la blessure reçut par Nago va entamer chez lui un travail de corruption, symbolisé par son bras gauche. Incarnation de la colère, de la haine et de la violence, cette malédiction le consume et, telle une peau de chagrin, le précipite un peu plus vers sa mort à chaque nouvel usage. Ashitaka est le point de vue du spectateur. Comme précisé par la chaman de son clan, il doit voyager vers l’ouest et « porter sur le monde un regard sans haine ». Autrement dit, il doit laisser ses émotions de côté et embrasser les situations avec la plus grande objectivité. Découvrir, observer, appréhender, ne pas juger. Durant son parcours, Ashitaka fait des choix. Ceux dictés par le conflit, la violence, amènent irrémédiablement vers l’utilisation de son bras gauche et donc de sa mort. Que ce soit dans des escarmouches avec les bandits ou les soldats, la violence est exacerbée et montrée crûment. Bras sectionnés, têtes décapitées. Ces scènes choquent car elle contrastent avec l’environnement enchanteur qui nimbe le film et la direction artistique colorée. La violence, la peur et la haine, comme résultantes de l’incompréhension et de l’incommunication.


C’est la rencontre avec Dame Eboshi qui va débloquer chez Ashitaka le processus. Vivant en autarcie au sein de son village que l’on devine isolé, le jeune prince n’est pas familier avec les concepts très humains de politique, d’intérêt économique ou encore de stratégie guerrière ou géopolitique. Profondément honnête et idéaliste, à la limite de la naïveté ; Ashitaka, après avoir sauvé deux hommes sera accueillit au sein de la communauté dirigée par Dame Eboshi. D’abord dans le cercle fermé des hommes, puis après la révélation de la dualité de Eboshi il rejoindra les femmes pour partager leur labeur et leur vision de la situation. Si Eboshi assure le dépucelage psychique et moral de Ashitaka, c’est San qui déverrouillera par la suite ses aspirations sentimentales. D’abord motivé par sa propre survit, sans oublier de se soucier d’autrui, c’est dans un total sentiment d’abnégation qu’il ira jusqu’à sacrifier sa vie pour rendre sa tête au Dieu cerf.



Le triangle parfait



Princesse Mononoke s’articule autour d’un triangle dont Ashitaka, Eboshi et San sont les trois angles. Si Ashitaka arrive à dépasser ses premières impressions pour enfin comprendre les motivations de chacun(e), il n’en va pas de même pour Eboshi et San. Forgée dans l’incompréhension et la haine mutuelle, leur relation reste cloisonnée dans leurs certitudes et demeure hermétique. Seul importe leur point de vue qu’elles imposent, évacuant tout dialogue nécessaire à un compromis. Embourbées dans une relation unidirectionnelle, elles s’obstinent dans leur mutisme, n’étant capable de communiquer entres elles que les lames à la main, c’est Ashitaka qui sert d’ambassadeur pour représenter l’autre camp et défendre ses positions. Ne parvenant jamais à s’écouter, elles symbolise l’incompatibilité entre progrès technologique et nature. Seul Ashitaka parviendra, en comprenant les motivations de chaque camp, à imposer une relation saine une fois l’épilogue atteint. San et Eboshi sont des personnages dramatiques. On sait que San fût abandonnée par ses parents et l’on devine sans peine que l’enfance de la responsable des forges a dû être jalonnée de nombreuses épreuves. Si San est une extrémiste écologiste sans concession pour qui le meurtre de ses opposants est légitime, Eboshi verse plus dans la politique et la stratégie. On devine une femme opportuniste mais juste, qui va jusqu’à décapiter symboliquement la Nature pour entrer dans les grâces de l’empereur. Même si son ambition personnelle suinte dans chacune de ses actions, on découvre avec le temps qu’elle possède une empathie prononcée et une forte humanité. Eboshi humaniste ? Oui, mais avec des valeurs à défendre, surtout la dignité et le travail. Que ce soient chez les lépreux ou les femmes de la forge, toutes deux des communautés de parias (malades incurables et contagieux, anciennes prostituées), Eboshi demande une contrepartie. Travailler pour elle. On voit le respect qu’elle inspire et nulle dissension ni autre esprit contestataire ne semble agiter les habitants de la forge. Ce sont les armes qu’elle a conçut et fabriqué qui ont corrompu la nature même de Nago et qui pervertissent la nature. En recherche constante de minerai de fer, elle mutile les forêts pour s’approprier les gisements et participe par répercussion directe à l’appauvrissement du monde animal. C’est cette dualité qui fait de dame Eboshi un personnage fascinant, aux facettes multiples et au charisme affirmé.



Femme, femme, femme



Princesse Mononoke est un film aux accents féministes prononcés. Eboshi, San, Moro, trois personnalités fortes qui imposent leur choix. Même Ashitaka, l’élément neutre du conflit, se soumet à la décision de la chaman de son clan pour embrasser tour à tour les points de vue des différentes antagonistes. Comme souvent chez Miyazaki, les femmes sont des personnages au tempérament certain, allié à un caractère entier. Contrairement aux princesses Disney engoncées dans une ingénuité débilitante, les femmes imaginées par Miyazaki font des choix, prennent des décisions qui influent sur leur avenir et affirment leurs positions. Nausicaä, Mei(Totoro), Fujiko(Cagliostro), Fio Piccolo (Porco rosso), Sophie (Chateau ambulant), Sheeta etc. Toutes impriment l’œuvre où elles évoluent de leur empreinte. Miyazaki est un féministe convaincu. Il ne suit pas une mode, ne brosse pas l’opinion publique dans le bon sens, ne surfe pas sur les réseaux sociaux pour s’attirer leur approbation fallacieuse. Ces personnages féminins ne sont pas sans failles, loin de là, elle agissent, commettent des erreurs, doutent, mais toujours en assumant leurs actions. S’il peut y avoir de la peur, de l’hésitation chez elles, jamais elles ne fuient. La lâcheté est un concept qui les repoussent.


Dès la rencontre d’Ashitaka avec San, on devine qu’une romance peut jaillir. La révélation sur sa beauté, leur nombreux points communs (courage, respect de la nature, abnégation) le don du pendentif cher à Ashitaka pour San. Pourtant, Miyazaki tranche la question. Trop ancrés dans leurs croyances et surtout leurs valeurs, San et Ashitaka se résignent à vivre séparés pour le bien commun. San, l’enfant louve, la princesse Mononoke, celle des esprit et de la nature. Fusion d’humanité et d’une nature mystique, elle voue une haine farouche aux hommes liée à son abandon par ses parents. San est moins ambiguë que Eboshi mais bien plus radicale. Elle est prête à tout pour chasser les hommes de la forêt. La violence pour seul dialogue. Farouche, impulsive et vivant dans le présent, elle s’oppose à Eboshi qui calcule, élabore et se projette dans l’avenir. San s’oppose également à Eboshi dans l’action. Elle combat au contact, dans l’instant, la rage au ventre, avec l’imprévisibilité de l’animal acculé. Eboshi manie certes la lame mais préfère l’arquebuse, arme à distance, sophistiquée et dont la maîtrise se fait dans le calme et la concentration de la visée. Ashitaka ne pourra faire un choix, il sera continuellement attiré entre la sauvagerie et la simplicité de San et la cérébralité de Eboshi. Un dilemme moderne sur la cohabitation de la nature et de l’homme.



Jiko Naitou, le bonze multitâche



S’il est de moindre importance, le personnage de Jiko apporte certains éclairages sur l’histoire. Sa rencontre avec Ashitaka le présente comme un bonze débonnaire mais à l’esprit vif. Point d’ancrage pour Ashitaka dans les nouvelles contrées explorées, il devient un confident et une source d’informations. Référent sur les tensions géopolitiques, il expose les enjeux entre les différentes faction. Aux ordres de l’empereur, il ne cédera qu’une fois désarmé par l’acharnement conjugué de San et Ashitaka à rendre sa tête au Dieu cerf. Si les objectifs stratégiques sont clairement définis, il restent surtout limités à dresser une toile de fond. Entre les bandits qui dévastent des villages, l’empereur qui dans sa mégalomanie décide de décapiter une incarnation de la nature et un daïmio local qui tente de s’emparer des forges de Eboshi, l’ambiance générale n’est pas à l’apaisement. Les humains présents sont ainsi dépeints comme bellicistes et conquérants. A l’opposé des habitants de la forêt, les étonnants Kodama en tête de liste.



L'art imite la nature



Impossible d’évoquer ce monument du film d’animation sans parler de sa dimension artistique et technique. Les artistes du studio Ghibli ont travaillé sans relâche avec un soucis du détail qui tourne parfois à l’obsession. Dirigé par un Miyazaki perfectionniste et toujours soucieux d’améliorer son œuvre, le film a suivi différentes direction au cours de sa production, utilisant des techniques d’animation éprouvées conjuguées à des procédés expérimentaux. Malgré les nombreuses années de développement et le nombre imposants d’artistes engagés sur le projet, Princesse Mononoke respire la cohérence et l’homogénéité. La fluidité de l’animation, le naturel des postures, les expressions faciales, la minutie apportée aux scènes d’action comme l’émotion qui se dégage des moments dramatiques, rien n’est abandonné au hasard. Les fabuleux plans de la foret, entre cadrages serrés et panoramas étourdissants ; la tension apportée aux combats, la violence des impacts, la vitesse ressentie lors des chevauchées en foret, le travail effectué pour plonger le spectateur dans cet univers est titanesque. La maîtrise est totale, impossible de prendre le film en défaut sur la qualité technique et artistique, même 20 ans plus tard.



Do Re Mi Fa Si Nant



Joe Hisaishi. Que serait Mononoke hime sans lui et par extension la filmographie de Miyazaki. Il est coutume chez les cinéphiles d’associer certains grands cinéastes à des compositeurs tant leurs parcours sont liés et leur créations se répondent, entrent en symbiose. Des couples mythiques tels que Spielberg/Williams, Leone/Morricone, Hitchcock/Hermann ou encore Burton/Elfman ont entretenu cette mythologie. Miyazaki et Hisaishi complètent sans doute possible cette liste non exhaustive et méritent certainement une place sur le podium tant leur collaboration fût inspirante. Au delà du talent, c’est bien l’empathie et la sensibilité de Joe Hisaishi qui s’exprime tout au long de Mononoke. Comme s’il parvenait à se connecter aux ressentis du cinéaste, aux émotions qu’il désire transmettre sur chacune de ses scènes, le compositeur est un traducteur alchimiste, un interprète chaman, capable de transmuter les pensées d’un artiste en lignes, croches et soupir. Une musique pouvant exister au-delà du film qu’elle habille, pouvant s’écouter comme une œuvre à part entière, est une preuve de sa réussite. Sa capacité à nous émouvoir sans pour autant connaître le film support ou à réveiller en nous les émotions éprouvées lors du visionnage, tels sont, entres autres, les marques des grandes compositions. Et dans ces catégories, Mononoke coche toutes les cases.



Se quitter pour mieux se retrouver



Mononoke hime, œuvre complexe qui se révèle encore 20 ans après. Films des superlatifs, passeport européen pour son créateur, œuvre fondatrice pour certains cinéphiles, prise de conscience de la masse spectateur découvrant un autre paradigme de l’animation nippon. Film universel par ses thématiques, intemporel par ses personnages, la vision d’un artiste transcendée par le travail de collaborateurs inspirés. Si Princesse Mononoke n’a pas bouleversé la vie de tous ceux qui l’ont vu, il a chamboulé la mienne comme rarement une œuvre a su le faire.


Arigato Gozaimashita Miyazaki sensei

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le 24 janv. 2020

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Alyson Jensen

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