Il est difficile de réaliser que cela fait finalement presque vingt ans que l'on s'extasie sur les innombrables qualités de Princesse Mononoké. Vingt ans...
En plus de filer un sacré coup de vieux, on se rend compte dans le même temps à quel point le film de Hayao Miyazaki touche le sublime du doigt. Le caresse et le flatte. Et l'on se souvient de l'excitation ressentie dans la salle de cinéma, cet après-midi de mars 2000, quand, à peine les premières images s'animent sur le grand écran, le Demon God de Joe Hisaishi retentit et rythme l'inoubliable affrontement entre Nago, l'étrange sanglier démon et le prince Ashitaka, dans une poursuite d'un souffle épique incroyable et furieux. Ashitaka, ce jeune homme maudit, qui ressentira les effets de la haine et de la folie qui agite son monde jusque dans sa chair, comme un cancer qui se développe et gagne du terrain, inexorablement.
On se souvient de la déesse louve Moro, impressionnante, et de sa fille San, de son esprit libre, de son caractère indomptable et entier. De cette première rencontre à distance, du sang que crache la Princesse Mononoké qui soudain, se fige sous les yeux admiratifs et énamourés du guerrier, qui essaie de passer progressivement à l'âge d'adulte et de poser sur le monde un regard sans haine. Celui qui le pousse à s'interposer dans un duel nocturne et implacable.
C'est aussi Jikko, le bonze aux objectifs troubles, ou encore Dame Eboshi, d'une bonté admirable envers les malades et les laissés pour compte, tout en détruisant l'environnement de son village forge. Celui dans lequel on se souvient de ses figures de femmes fortes et gouailleuses, travailleuses, courageuses, qui ne laissent pas les hommes leur en compter, dans un éclat de rire ou de colère. On se souvient aussi d'être emporté, impuissant, dans le tourbillon d'une quasi tragédie grecque. Dans un sentiment que cette nature sera inéluctablement réduite à néant par la folie de l'homme, sans retour en arrière possible. Comme on se doute de la même manière de la funeste fin du dieu cerf.
On se souvient de l'aussi héroïque qu'inutile baroud d'honneur de la harde des vaillant guerriers d'Hokkoto, de leurs peintures de guerre dessinées sur leurs flancs, de leurs corps sautant sur les mines du piège qui se referme. De la souffrance du vieux chef, aussi, de sa douleur qui abolit son jugement et confine à la démence, sur le dernier chemin qu'il empruntera, dans un râle d'agonie, suivi par les dépouilles molles de ceux qui sont tombés au combat, abritant des hommes fourbes et lâches.
Il y a aussi cette nature, magnifique, altière et majestueuse, mais qui devient tout aussi folle que la race humaine. Cette forêt que l'on anéantit, qui ne repoussera plus jamais, dont les orang outangs menaçants se mettent à goûter à la chair des hommes et à défier les dieux qu'ils sont censés servir. Ce monde que l'on devine autrefois paisible et simple, comme la raison, comme le village des Emishi, se meurt. Comme les sylvains qui tombent par milliers lors de cette apocalypse finale, où la verdure brunit, où la vie s'éteint, et où la vengeance fait s'animer une dernière fois une tête coupée pour arracher le bras de son ennemie.
Je me souviens aussi de cette seconde séance, quelques jours plus tard, savourée dans une salle quasi vide, où j'ai pu embrasser la complexité et l'absence de manichéisme de chacun des personnages animés de main de maître par Hayao Miyazaki, l'extrême beauté de ses décors, la nature qu'il exalte, son discours à la fois mélancolique et désabusé. Et l'un des plus beaux couples de l'animation. Dont les mots restent muets, mais dont les attitudes et les gestes d'amour en disent long.
Cette richesse, cette grâce, cette beauté, ce message, ces sentiments mêlés, ce souffle épique, tout concourt à faire de Princesse Mononoké un des sommets, voire le sommet, du film d'animation traditionnelle. Depuis 1997. Depuis presque vingt ans.
Quand on aime, on a toujours vingt ans...
Behind_the_Mask, qui chevauche son élan rouge.