Priscilla
6.1
Priscilla

Film de Sofia Coppola (2023)

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Avec le film Priscilla, on se situe aux antipodes du film Elvis de Baz Lurhmann (2022) qui nous offrait l’image d’un Presley très ressemblant, authentique musicien emporté par ses tourbillons de vie, voix veloutée de crooner et déhanchements déchaînés torrides de grand fauve. Un sauvage Sacre du printemps d’instincts primitifs de rocker, au service d’un public de fans qui ira le vampiriser, épuiser ses forces jusqu’à le tuer, à 42 ans, d’injections et d’amphétamines pour tenir sur scène, debout.  

L’œuvre de Sofia Coppola veut nous en présenter le contrechamp, l’exact opposé, l’ubac de la légende, le versant à l’ombre du personnage public et la prison dorée de Graceland de Memphis où se tenait (était tenue) recluse la très jeune Priscilla qui recevait depuis le lointain les échos étouffés et brouillés du Barnum d’Elvis.

Le thème très actuel d’une toute jeune fille, l’innocence d’une Lolita sous emprise d’une véritable bête de scène, Baby Doll  qu’Elvis tiendra à préserver jusqu’au mariage et qu’il façonnera à sa volonté. Artificielle Poupée Barbie aux faux-cils et cheveux en choucroute à la mode de l’époque, femme-enfant sur talons-aiguilles engoncée dans ses robes de grand couturier qui voudra se libérer des contraintes et de l’assujettissement à son époux, maître de son destin, pour retrouver son authenticité de fille toute simple dépouillée des oripeaux qu’on lui aura imposés. 

L’objectif, « la problématique » de Sofia Coppola est donc à l’opposé de Lurhmann. Son film se veut hautement féministe. Et si elle s’autorise, licence artistique oblige, à choisir à dessein un acteur géant qui frôle les deux mètres, 20 cm de plus que son modèle, surplombant de sa haute taille Priscilla (1,50 m), minuscule adolescente rencontrée à 14 ans en Allemagne, c’est pour un objectif très précis : la stature hors norme de l’artiste correspond à son statut d’icône, de statue colossale à l’antique d’un demi-dieu mondialement adulé par des adorateurs qui convergent en masse vers Graceland, temple-conservatoire de la mémoire du maître ; et surtout nous renvoie aux anciens contes de notre jeunesse, aux géants, Ogre dévoreur d’enfant, à la Belle et la Bête ou autre Barbe-bleue enfermant sa femme dans l’enceinte de son haut château. Autant de symboles d’asservissement et de peurs ancestrales de prédateurs. 

Des réserves. La réalisatrice va adapter le rythme du film à la vie routinière de Priscilla, à son ennui, à son attente du retour de l’être aimé. Avec le risque assumé pour ce film long de deux heures de provoquer par ses redites et ses langueurs la lassitude des spectateurs. Déception également le choix de l’acteur, certes pour les raisons évoquées ci-dessus, très loin de ressembler à Elvis Presley dont on ne retrouve ni le style ni le sourire carnassier ni les chansons. À notre sens, la Sofia Coppola de Marie-Antoinette et de Lost in translation pouvait mieux pour ce film à thème, féministe très contemporain, dans l’air du temps.

Lesaloes
6
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le 13 janv. 2024

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