Je vais vous rassurer de suite, ce film n’est pas le nouveau Silence des agneaux, loué soit le saigneur, un seul suffit. À la limite, météorologiquement parlant, on se rapproche d’un Seven. Mais cela en fait-il un bon thriller pour au temps?

La question se pose.

D’un point de vue strictement scénaristique, il y a de l’appréciable comme de l’agaçant, du genre qui se mérite et qui se gâche.

À la différence de @Kenshin, j’ai trouvé intellectuellement moins insultant le fait que les éléments présentés au spectateur ayant à sa porté tous les éléments annexes, fortuits ou concordants, ne se présentent pas aussi facilement au personnage de Loki, contrairement à ce que la plupart des fictions d’investigation nous pondent et dans lesquels les enquêteurs enchainent déductions et tissages de liens sortis du chapeau.

Dans une enquête réaliste la plupart des faits, liés ou non, en concordance ou non, pertinents ou inutiles, ne s’imbriquent pas de façon fluide et ordonnée, il faudra de nombreux allés-retours, d’innombrables recherches et digressions avant que les indices ne viennent concorder et mener vers de nouvelles pistes elles mêmes sujettes à approfondissement avant de pouvoir déboucher quelque part. C’est justement ce mélange de frustration et de savoir qui participe à bâtir une grande part de la tension psychologique du récit. Le spectateur en sait tellement qu’il baigne dans une impuissance paradoxalement —ou ironiquement— semblable à celle du personnage de Jackman, et d’un autre côté tellement peu au vue des nombreux départs de pistes insinués par le scénario qu’il nage dans le même brouillard que Loki, embrouillé par la multitude de doutes.

Là où le bat blesse c’est dans la crétinerie totale, l’indigence absolue, l’obscurantisme idéologique voire la déconfiture narrative dans laquelle l’intrigue s’embourbe, s’attardant sans courage sur les agissements d’un père dont les justifications s’avèrent au final plus douteuses —faute à un traitement lacunaire et un manque de souffle— que légitimes et crédibles (même si certains diront justifiables) ; sans parler des motivations du kidnappeur, jurant avec le suspens de qualité jusqu’à leur révélation.

Loin d’être la claque annoncée de facto, le reste du film affiche par contre de solides qualités, et notamment sur le plan formel.

Et en effet ça rassure de voir qu’il existe encore des gars capables de filmer proprement ; ce qui inclus cadrer, composer, et poser sa caméra, ce qui inclus monter avec autre chose qu’une feuille de boucher, ce qui inclus diriger ses acteurs et mettre en scène, ce qui veut dire ne pas se foutre de la gueule du monde pour se la jouer thriller dark post Seven à la con.

Merci Denis Villeneuve, merci de ne pas m’avoir fait pleurer les yeux avec des effets clipesques de mes deux, de la caméra à l’épaule de l’esbroufe, du close up émétique.

Je salue la direction artistique qui prouve que superbe photo plus pluie égal régal oculaire (la scène de l’arrestation en est un remarquable exemple) et qui nous rappelle qu’il n’est rien de mieux pour dépeindre une ambiance que ce que la nature nous offre comme palette ; ainsi Villeneuve n’a qu’à laisser la pluie ou la neige tomber sur ces flocons épars, lointains, plaintifs et presque fantomatiques que sont les notes parcimonieusement distillées d’une B.O parfaitement dans le ton et complémentaire.

Il paraît qu’on promet un Oscar™ à Jackman ; pourquoi pas, pour ce que ça veut encore dire, mais son interprétation parfois un peu appuyée constitue tout de même ce que je l’ai vu faire de mieux depuis qu’on nous rabat les oreilles et les pubs avec. Donnie Darko imite les tics faciaux de Kitano, et hormis l’artificialité de cet aspect de son jeu, parvient à se montrer plutôt convaincant. Un rôle qui aurait plu à Leo, tiens. En arrière plan Maria Bello a pris un coup, Terrence Howard est une moulasse, le fils de Jackman ressemble au facteur et Paul Dano est en mode économie d’énergie ; merci une écriture qui néglige quasi systématiquement tous ses personnages secondaires.

Prisoners accuse donc quelques défauts qui s’apparentent plutôt à des frustrations elles même induites par de grandes attentes. Néanmoins, voici ce que je n’ai pas honte de qualifier de bon petit film relativement solide, comme on en voit très peu dans le genre auquel il appartient depuis plusieurs années, mais si il évoque le Silence des agneaux (putain de campagne marketing), c’est plus pour sa démarche artistique et un savoir-faire indéniable que pour son approche thématique et la substance de ses protagonistes.
real_folk_blues

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