Robert Bresson filme les derniers mois de Jeanne d'Arc en se basant uniquement sur les minutes historiques de ses procès de condamnation et de réhabilitation. Une telle exigence de vérité historique aboutit à une œuvre la plus objective possible, maintenant sa distance avec le sujet qu'elle traite.
Et paradoxalement, c'est de cette sèche distanciation que naît l'émotion la plus prenante, aussi tranchante que le noir et blanc de l'image.
Robert Bresson épure les décors et les costumes, simplifiés à l'extrême, et compose ses plans en privilégiant les lignes verticales, comme pour mieux suggérer la force surnaturelle qui soutient constamment Jeanne.
Et c'est dans l'ultime image, celle du poteau calciné du bûcher, que cette verticalité dominante apparaît dans toute sa puissance invincible : de Jeanne, il ne reste plus rien, elle s'est envolée... Comme la croix du Christ, le poteau, auquel Jeanne avait été enchaînée et ligotée, demeure le témoin de sa paradoxale victoire : c'est l'instrument même du supplice qui lui a servi à prendre son irrésistible élan vers le Ciel... Et Robert Bresson nous montre l’invisible avec une économie de moyens magistrale : ce morceau de bois encore fumant dépasse et domine les arbres situés en arrière-plan.
Florence Carrez, à peine plus âgée que l'héroïne, nous touche par sa fragilité à toute épreuve. Le visage juvénile de la jeune fille, lisse de toute marque, concentre toute son expressivité dans son regard à l'intensité incandescente. Grâce à cette "non-actrice", vierge de tout métier, Robert Bresson nous offre une sainte vivante, tout simplement humaine. Ne pouvant s'appuyer sur aucune ficelle artificielle d'un jeu d'interprétation, Florence Carrez nous livre les failles par lesquelles la grâce de Dieu vivifie l'humanité de la sainte, jusqu'à transfigurer en force invincible sa faiblesse même...
Loin de toute image d'Épinal, voici une Jeanne d'Arc d'une grande modernité, véritable icône de la résistance de la conscience à tout ce qui tente de la violer.
Inoubliable.