S'ouvrant comme un film d'espionnage, Profession: Reporter poursuit dans cette lignée pendant sa première moitié. En promenant son héros, le génial de nonchalance et de calme Jack Nicholson (à contre-courant de ses rôles les plus célèbres), aux quatre coins du monde, Antonioni construit une œuvre labyrinthique faite de faux-semblants, où les identités s'empruntent, les personnages se confondent, les fausses pistes se multiplient, où le spectateur se perd dans des lieux déserts et des immeubles sinueux.
Sous la forme d'une enquête internationale, où un reporter anglais éduqué aux Etats-Unis rencontre dans le désert africain ce qu'il découvrira être un trafiquant d'armes dont l'usurpation d'identité l'emmènera en Allemagne puis en Espagne, Profession: Reporter, dont on préfèrera le titre original The Passenger, est un film à tiroirs dont on comprend petit à petit les enjeux, où l'on parle toutes les langues, où les scènes, comme les intrigues, se télescopent entre elles et où les flashbacks percutent le présent.
La plongée pour les spectateur est brutale, suivant un protagoniste mystérieux et silencieux dans une histoire dont il ne sait rien mais qui attire l'attention.
C'est lorsque le scénario tout en fausses pistes s'éclaircit qu'Antonioni prend un virage et révèle finalement le vrai sujet de son film.
Vers la fin du film, David Locke, le personnage de Nicholson, raconte l'histoire d'un de ses amis, aveugle, ayant recouvré la vue. Au début exalté, ayant faim d'images, de visages et de paysages, c'est en fait un monde plus pauvre qu'il ne l'imaginait qu'il découvre, un monde sale et laid. La peur s'empare de lui pour finalement le mener à la mort.
Dans une mise en abyme glaçante, c'est le film qui nous est raconté.
Au départ exalté, enthousiasmé par ses voyages (magnifique plan le voyant voler, en télécabine, au-dessus de la mer barcelonaise), ses rencontres, cette impression de ne plus exister, de ne plus laisser de trace, David Locke devenu Robertson est rattrapé par un passé qui n'est pas le sien et se retrouve assez vite recherché et suivi, poursuivi. Sa vie devient alors une fuite. Et le film une errance désincarnée dans un monde poussiéreux et désert, un monde que l'on ne voit et que l'on ne vit plus que derrière des carreaux ou des barreaux, comme le souligne un impressionnant plan-séquence final.
Si David Locke s'empare de l'identité du trafiquant d'arme Robertson, c'est pour tourner le dos à sa propre vie minable tenter de devenir quelqu'un d'autre. Une tentative vaine, qui fait de The Passenger un film sur la solitude, l'incapacité d'être soi-même et de trouver sa place dans un monde qui tournera de toute façon toujours sans nous, et sur un homme ne parvenant à être chez lui nulle part.
Derrière une mise en scène aux plans magnifiques (la femme jouée par Maria Schneider, elle aussi semblant voler sous les arbres dans une scène en décapotable) mais d'une austérité et d'une lenteur parfois ennuyantes (et malheureusement propre à l'esthétique des années 70), The Passenger est donc un film sur des gens de passage, qui se vivent en Bonnie & Clyde mais ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, des personnages interchangeables.
Et c'est bien ce que nous révèle la scène de fin, comme une vertigineuse répétition du début, semblant annoncer une terrible succession sans fin.
(Locke devenu Robertson meurt finalement comme ce-dernier, seul, dans la chambre d'un hôtel perdu en plein désert.)