J'ai souhaité regarder ce documentaire après avoir vu le sincère et touchant 'Sans Adieu' du regretté Christophe Agou, sorti en salle cet automne. Comme Depardon, Agou nous emmène dans ces territoires de moyenne-montagne, là où les routes semblent chercher leurs chemins jusqu'à ces exploitations fragiles qui n'ont de lien avec les villes et l'administration qu'à travers les courriers accumulés, le quotidien régional, les visites rarement annonciatrices de bonnes nouvelles. De la même manière aussi y sont filmées des travailleurs, souvent âgés, qui ont des 'doigts comme des bites' (Orelsan-Mes grands-parents) et qui ne parlent pas pour ne rien dire avec ce sens mesuré de la parole, ou plutôt du silence. D'ailleurs, l'ouvrage de Chrisophe Agou qui accompagne son film s'appelle 'Face au silence'.
Avec Depardon, nous allons donc d'exploitation en exploitation voir ces visages et ces vies de labeur. A travers ces plans fixes, il offre plusieurs tableaux qui permettent de saisir la part d'ombre qui gagne ces existences et ces professions au crépuscule du XXe siècle. La transmission est au coeur de ce monde, que cela soit celle d'une exploitation dont cette vieille femme ne peut plus s'occuper, la vente compliquée et tendue des bestiaux, l'impossible don de ses biens en fin de vie pour l'émouvant Louis. A qui transmettre quand il n'y a pas d'héritiers? Quoi transmettre dans cet univers dévalorisé, oublié, repoussé? Depardon, comme Agou, nous font revenir à la mémoire ces lieux et surtout ces habitants. La scène de fin avec le sermon du pasteur va dans ce sens, comment se souvenir de ces vies oubliées? En en fixant ne serait-ce que 10 minutes d'existence, répond Depardon.
Le petit bémol de ce film est le dévoilement un peu trop récurrent du dispositif, soit à travers les attitudes des personnes, soit à travers la voix-off du narrateur. Depardon en arrive à expliquer comment il est rentré dans ces maisons, par l'entremise du maire par exemple ou par des rencontres au long cours. Si la voix-off se veut sobre et purement informative, il n'empêche qu'elle existe et que c'est un peu dommageable. Quant à certains regards ou silences, ils nous rappellent la présence de la caméra, comme ce moment plutôt gênant de cet homme qui vit chez ses parents et tente de se cacher de l'objectif à la manière d'un enfant mal dans sa peau. Je me dit qu'il y a là un pacte de confiance rompu, voire jamais établi entre le réalisateur et certains habitants. Dans 'Sans adieu', la pensée est inverse, on ne cesse de se demander comment le réalisateur a fait pour être au plus près des gens, pour filmer des moments de solitude, de détresse, de séparation. Et on s'approche plus, à mon sens, d'une impalpable réalité grâce à une caméra transparente et vivante.
'L'approche' offre quand même un devoir, celui de ne pas oublier, et une promesse, celle de 2 autres chapitres.