Alors qu'en 1960, le cinéma était mis à mal par l'arrivée de la télévision, c'est aussi l'arrivée de réalisateurs plus indépendants, affranchis des Studios, et qui vont se permettre des sujets plus audacieux. Je pense évidemment à Roger Corman, mais désormais à ce film, réalisé par Leslie Stevens, et qui est une grande découverte.
Deux voyous, joués par Warren Oates et Corey Allen, décident de suivre une jeune femme en voiture après que le premier a avoué au second qu'il était encore vierge. Ils vont donc choisir une maison inhabitée, à côté de leur proie et son mari, et vont se mettre à l'épier.
Bien que le film soit antérieur aux audaces du Nouvel Hollywood, Propriété privée se permet des choses incroyables pour son époque ; je pense en particulier à l'évocation plus ou moins ouverte de la sexualité, et surtout de la part de la femme.
Kate Manx joue une épouse frustrée sexuellement, dont son mari ne semble pas vouloir l'honorer au prétexte de rendez-vous professionnels, et elle ne cache pas son désir de coucher avec lui, notamment en prenant une pose des plus suggestives dans le salon, où l'interruption de la télévision fait penser à un clitoris, donc un désir en berne, ou elle tente de l'aguicher par des tenues provocantes, ou bien en voulant le déshabiller, mais non, il ne veut pas. Et il résiste même à une scène reprise dans L'affaire Thomas Crown, à savoir qu'elle tripote de haut en bas une bougie tout en lui parlant !
Mais ce désir sexuel est aussi du côté des deux hommes, où le personnage joué par Warren Oates semble suggérer un refoulement du désir, d'où sa probable virginité à un âge aussi avancé, ou à une homosexualité qui ne dit pas son nom.
Ce qui donne tout un sous-texte très intéressant au film de Stevens qui n'en oublie pas sa mise en scène ; ancien assistant d'Orson Welles et Stanley Kubrick, il n'hésite pas à multiplier les contre-plongées, les objectifs déformants et autres altération de l'image pour suggérer la menace représentée par ces deux hommes, qui tournent comme des vautours autour de leur proie.
On sent que le film est un tout petit budget ; la maison dans laquelle se passe l'action n'est autre que celle de Leslie Stevens et son épouse Kate Manx, et la mise en scène donne l'impression de tout connaitre de cet habitat. Le tournage n'a duré que dix jours, mais il n'empêche que c'est vraiment prenant, faisant aussi parfois penser à du Hitchcock dans le côté observation par le trou de la serrure.
Enfin, j'aimerais parler de cette femme frustrée et désirable jouée par Kate Manx ; Propriété privée aura été son seul film de cinéma, et il a avait été conçu par Leslie Stevens comme une sorte de carte de visite de ce dont son épouse était capable en termes de jeu. Et il faut dire qu'effectivement, elle donne beaucoup, dans son corps meurtri, et donne une certaine force d'interprétation.
Mais soit elle est allée trop loin, soit le film était trop sulfureux pour son époque, mais Propriété privée sera un énorme échec, classé X en Angleterre, et Kate Manx fera après ça quelques épisodes de séries avant de se suicider à l'âge de 32 ans en 1964.
Le film a littéralement ressuscité au milieu des années 2010, alors qu'on croyait le négatif perdu, et je ne peux que vous conseiller de vous jeter sur cette propriété plus effrayante et malsaine qu'il n'y parait.