Comme dirait l’autre : « Je ne m’attendais à rien, mais je suis quand même déçu. »
Ce film, je suis pourtant allé le voir sans rien en savoir. Du moins très peu de choses.
Quelques bons échos. Un titre. Une affiche. Un casting.
Une promesse très vague en somme, mais une promesse pourtant non tenue.


Parce que bon : oh ! On ne va pas me la faire à l’envers non plus : quand tu appelles ton film « Proxima » et que tu mets sur ton affiche une mère et sa fille avec, en arrière-plan, une fusée, il me semble que ce n’est pas tout à fait un acte anodin.
Moi, quand je vois ça, je me dis qu’AU MINIMUM il va être question d’un rapport à l’espace et au temps, d’un rapport au charnel et à l’infini, d’une relativité aux choses du quotidien et de l’absolu.
« Proxima » c’est à la fois l’étoile, c’est à la fois l’idée de rester auprès des êtres aimés. On est bien tous d’accord hein ? Ce n’est pas moi qui extrapole là !


Mais bon. Il faut croire que j'étais trop exigeant. Car, de tout ça, il n’y aura finalement presque rien.
En fait virez l’espace. Virez la relativité. Virez le questionnement.
« Proxima » ne raconte qu’une seule chose : l’histoire d’une femme qui se retrouve à cheval entre son rôle de mère et son boulot. Et that’s FUCKING it.


Voyez le film et posez-vous juste une question.
« Pourquoi l’espace ? »
Si on vire l’espace de cette intrigue et qu’on le remplace par un hôpital, une banque ou un banal service compta, c’est juste LE MÊME film.
Alors vous allez peut-être me rétorquer : « oui mais dans un service compta ça aurait sûrement été plus chiant, plus banal… »
Bah oui ! C’est vrai.
Mais franchement, en quoi voir l'héroïne attacher des mousquetons sous l’eau et courir sur des tapis roulants ça rend tout de suite le film plus excitant ?


Parce qu’il est là le problème avec ce « Proxima. »
Au fond ce film ne dit rien si ce n’est que du très banal.
En gros, toute la démarche ne repose que sur un seul axe : celui qui consiste à démontrer qu’être une mère qui bosse, bah c’est pas cool.
Une heure et quarante-six minutes de : « Attendez je suis en retard car il faut que je téléphone à ma fille ! » ou de « ça vous dérange si je ramène ma fille à la réunion ? » quand ce n’est pas du « Mais dis donc ! On dirait bien que ma carrière m’empêche de profiter de moments forts avec ma fille ! Snifou snifou ! »
Voilà.
Une heure et quarante-six minutes de ça.
Le problème c’est que – ô surprise ! – au bout de dix minutes de visionnage on a à peu près compris le message.
Et au moment où moi je me suis dit « OK, j’ai l’idée. Et sinon à part ça qu’est-ce que t’as à dire ? », le film m’a grosso modo répondu : « Ah… Mais… Mais y’a que ça ce que j’ai à dire en fait… »


Bon…
On ne va pas se mentir. Moi, ce « Proxima », c’est clairement le cinéma qui m’agace.
Pire, c’est le cinéma qui m’exaspère.
Voilà où on en est arrivés.
Aujourd’hui quand un mec ou une nana veut faire un film, il/elle ne réfléchit plus en termes d’univers, d’atmosphère, d’exploration des sens ou de rythme. Non, maintenant on pense en termes de « causes ». On vient défendre sa cause et puis ça s’arrête là.
Le cinéma, au fond, c’est juste un support. Ce n’est même plus un domaine créatif.


Pourtant ce film avait clairement les moyens pour des ambitions plus grandes.
A quelques instants, des scènes se posent là et démontrent qu’il y avait quand même moyen de faire quelque-chose qui avait plus d’ampleur et de profondeur.
Une gamine qui joue sur une lune factice.
Une astronaute marchant au milieu des eaux d'un grand lac.
De puissants moteurs qu’on sort de hangars démesurés.
Autant d’images au potentiel énorme mais dont finalement on ne fait rien.
Car les images ne sont visiblement que des illustrations pour Alice Winocour. Juste quelque-chose en plus, au service de l’histoire. Pas un vecteur de narration.


Quel gâchis.
Quel gâchis d’avoir un décor pareil pour au final ne produire que des images aussi plates.
Comme un syndrome de son temps la quasi-totalité du film est tournée caméra au poing, même quand tout est figé.
Mais quel intérêt franchement ?
Cette pratique c’est vraiment devenu le cache-misère du pauvre.
« Ah mais moi j’ai tout tourné caméra au poing pour qu’on sente la réalité crue ! Façon documentaire ! Genre "on a saisi l’instant malgré l’agitation et la spontanéité des choses."
– Mais là ils sont assis à une table et ils parlent. Y’a pas d’agitation.
– Oui mais c’est pour faire documentaire j’te dis ! Captation brute du réel quoi !
– Bah justement. Dans un documentaire, pour un banal champ-contrechamp autour d’une table, ils auraient posé la caméra sur un trépied.
– Ouais mais bon ! Moi si je fais ça dans mon film, ça va faire tout plat !
– Mais ça fait déjà tout plat en fait. C’est pas parce que tu vas refiler la gerbe à tout le monde en agitant un cadre fixe que soudainement ta réalisation va prendre du relief hein... Mais qu’est-ce que tu crois ? »


Alors voilà.
Voilà comment, en France, on ne sait même pas tirer parti d’un vrai décor cinégénique.
Voilà comment, en France, on ne sait même pas tirer parti d’un casting au fond plus que convenable. Eva Green, par exemple, nous sort une prestation plus qu’honorable. Et franchement, heureusement pour ce « Proxima » qu’elle est là. (Me concernant, c'est sa performance qui rapporte à ce film une petite étoile de plus.)
Et voilà surtout comment, en France, on ne sait même pas tirer parti d’un Ryuchi Sakamoto qu’on a pourtant à sa disposition mais qu’on n'utilise au final que très peu.
C’est… C’est juste navrant.


Et au fond, c’est navrant car c’est révélateur.
Révélateur d’un tout.
Révélateur de ce qu’est en grande partie notre cinéma hexagonal.


Déjà l’an dernier, Claire Denis s’était risquée à aller dans l’espace.
Elle avait fait un film qui s’appelait « High Life » ; un titre lui aussi trompeur puisqu’au final, aucune vie ni aucune hauteur.

Avec ce « Proxima », même logique, mais en allant peut-être encore plus loin.
Cette fois-ci on se décide à aller dans l’espace, mais sans vouloir pour autant franchir le pas. En fin de compte on a préféré rester sur le plancher des vaches parce qu’au fond, se projeter, dans le petit carcan français, c’est quelque-chose qu’on ne sait pas faire.
A part donner des leçons de morale et se morfondre sur les petits tracas du quotidien on ne sait plus rien faire, on ne sait plus rien dire.
On ne sait même plus faire ressentir.
Et ça, moi, ça m’afflige…

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le 7 déc. 2019

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